Les personnes rencontrées se retrouvent à devoir assumer, gérer, réagir à leur nouvelle réalité de l’incarcération d’un proche. La longue liste des difficultés et défis que nous avons mentionnés dans les pages précédentes va engendrer chez les proches l’adoption de stratégies à la fois individuelles et collectives, actives et passives, volontaires et involontaires, fructueuses et infructueuses, favorables et dommageables.
Nous proposons de distinguer d’une part les stratégies déployées pour améliorer la situation de la personne incarcérée et celles qui visent à gérer les impératifs sécuritaires et les contraintes du milieu correctionnel. Nous présentons ensuite les stratégies visant à atténuer l’impact de l’incarcération dans leur vie et celles qui relèvent de la gestion de leurs interactions sociales en dehors des murs.
1. Stratégies visant à améliorer la situation du proche incarcéré
Même si toutes les personnes rencontrées n’ont bien sûr pas entrepris de s’investir à toutes les étapes de la judiciarisation de leurs proches, nous avons pu identifier un éventail de stratégies développées à différents moments du processus pénal.
Certains proches ont tenté d’aider l’individu inculpé en s’impliquant et en collaborant avec les autorités policières lors de l’arrestation, la perquisition et l’enquête.
Nous n’avons aucune expérience avec la police. J’ai des histoires à raconter aux autres maintenant. Ne parlez pas à la police. Ils sont vraiment, vraiment gentils avec vous. Vraiment, vraiment gentils avec vous. Et, bien sûr, en grandissant comme un bon citoyen, vous faites confiance à la police. Eh bien, j’ai appris à ne plus faire confiance à la police. Je ne partagerais plus jamais rien avec la police parce qu’ils la retournent et l’utilisent contre vous. Nous avons vraiment appris cette leçon. – Érika, mère.
Au début, quand la police est venue à la maison, elle m’a dit qu’elle serait là pour m’interroger et un officier est venu. Et, étant une citoyenne très respectueuse des lois, vous savez, vous pensez, « Ok, donc, je vais le dire. » Oui, j’ai accueilli l’officier. Et, ils m’ont interrogée, je pense que c’était près de 3 heures. Ils me demandaient de leur expliquer le contexte et je leur donnais bien sûr le contexte de la période où il était vraiment malade. Il faisait de la dépression et dormait pendant des jours. Je leur ai donc donné tous les détails de ce qu’il avait fait. Comment il a fait. Et, plus tard, j’ai découvert qu’une partie de ce matériel avait été utilisé contre mon fils. – Felicity, mère.
D’autres se sont impliqués au moment de la procédure judiciaire. Ils vont parler au juge et établissent un plan stratégique de réinsertion à présenter lors de l’audience.
On a fait une deuxième demande pour qu’il puisse être libéré. Fac là, j’ai monté mon dossier et puis on est arrivé avec cela. La juge, euh la couronne ne voulait absolument pas le laisser sortir. […] Pis sur l’heure du lunch, elle a pris le temps de regarder mon dossier et puis je l’ai croisée dans le couloir. Et puis je ne sais pas, je ne sais pas si, ce qui s’est passé, mais elle lui a permis avec des conditions très sévères par contre, mais elle lui a permis une libération. – Anne, mère.
Alors, qu’est-ce que j’ai fait ? J’ai fait une présentation PowerPoint. Et, vous savez, j’ai inclus différentes choses en termes de Smart Recovery, son médecin, nous. Donc, il y avait un plan et c’était un plan à plusieurs volets. Et je pense que ça les a époustouflés [le tribunal]. Ils ne s’attendaient pas à ce que, vous savez, nous soyons prêts à, à faire un peu d’effort ici pour mettre en place un plan réfléchi avec notre fils. – Dorothy, mère.
Au moment de l’incarcération, les personnes interviewées vont tenter d’améliorer la situation de la personne incarcérée en donnant de leur temps, de leur énergie, de leur argent. Les sections précédentes ont amplement illustré ces stratégies. Mais au-delà des visites et des courriers, les proches interviewés nous ont fait part des multiples efforts auxquels ils ont pensé pour améliorer le quotidien de la personne incarcérée. Leur motivation était toujours l’épanouissement personnel au moyen de stratégies éducatives, ludiques et affectives. Ils souhaitent occuper, éduquer, divertir la personne incarcérée mais également l’aider à maintenir le contact avec le monde extérieur.
On avait commencé à jouer au scrabble à distance. J’avais fait une planche de Scrabble. J’avais fait des petites lettres découpées que j’avais mises dans une enveloppe. Puis, là, je me pigeais des lettres. Puis, là, je faisais des mots. Puis, là, je lui disais: «Bon, bien, j’ai mis telle lettre à telle place.» Puis, là, je pigeais des lettres pour lui puis je lui renvoyais. Puis il me renvoyait un mot dans un courrier… euh, un autre courrier après. Puis on jouait au Scrabble. (Rires.) – Ariane, conjointe.
C: Par téléphone ce qu’on faisait beaucoup, ils jouaient à Battleship. Ici on joue à Battleship, les filles ont leur jeu pis papa se fait une grille avec un crayon pis du papier. Pis ben ils jouent à Battleship par téléphone. Mais, en prison, ils n’ont pas Battleship. Mais par téléphone, c’est un beau jeu, ça se fait bien. N : Un moment donné je lui avais envoyé un dessin de serpent et échelle. Donc lui pouvait dire que je suis là, je suis là. […] J’avais pris une photo de notre jeu et je l’avais envoyée. C : Ouais et tu vois que l’échelle baisse de 15 à 8 mettons. Fac, on pouvait jouer à cela aussi. N : Oui, c’est des idées qu’on a eues. […] les p’tites vont lui faire la lecture où elles vont chercher un livre de blagues. […] Elles vont lire des blagues à papa. Fac que, lui, il trouve les blagues. – Normand et Claudette, parents.
L’attention et souvent la créativité des proches ne sont pas toujours fructueuses. Leurs stratégies sont parfois entravées par l’administration correctionnelle ce qui engendre alors d’autres stratégies que nous présentons dans la section suivante consacrée à la gestion du système correctionnel.
Ça fait un petit bout qu’ils n’ont pas joué à Battleship avec papa parce qu’il n’avait pas de crayon, il n’avait pas de place pour écrire, le téléphone n’a rien. Tsé, ce n’est pas adapté pour cela nécessairement. – Claudette, mère.
Le 13 septembre, je lui ai rendu visite. C’était une visite ouverte et c’était à ce niveau de sécurité maximale et après cela, je n’étais pas consciente que lorsque je suis rentrée à la maison, quand il a appelé plus tard, il a dit : « Je déteste qu’ils – j’ai été fouillé au corps et cela m’humilie vraiment ». Il a utilisé le mot « humilier ». Ils le fouillent à nu après qu’il ait rendu visite à sa famille. Donc, vous savez, une personne qui est si vulnérable et si angoissée et anxieuse et paranoïaque, quand on lui dit de faire une fouille corporelle. – Ça m’a brisé le cœur et j’ai juste pleuré et j’ai dit, « Je ne te rendrai pas visite. Je ne te rendrai pas visite. Je ne peux pas laisser cela t’arriver. » … Alors je ne lui ai pas rendu visite. – Felicity, mère.
La mobilisation des proches s’inscrit souvent dans la durée et le long terme puisque la planification du futur est souvent une préoccupation. Certains vont jouer un rôle important lors du processus de libération conditionnelle notamment de par leur offre de soutien matériel (logement par exemple).
Je vois tous les obstacles qu’il rencontre et moi, je veux dire… […] Quand j’ai vu que quand il sortirait, il n’aurait pas d’endroit où aller, je me suis acheté une maison […] Je me suis beaucoup donné de responsabilités sur les épaules. – Joyce, mère.
On a eu le processus devant les commissaires aux libérations. Puis, euh, même, moi, j’ai assisté à la rencontre puis… j’étais son assistante. Puis, euh, j’avais le droit de parole. Puis, maintenant aussi, toutes les semaines, son intervenante, elle m’appelle toutes les semaines pour savoir si ça a bien été, il respecte-tu ses conditions? – Ariane, conjointe.
Même si le support mis en place pour la fin de peine n’est pas toujours officialisé dans le plan de sortie de la personne incarcérée, nombreux sont les proches qui nous ont expliqué mettre en place diverses stratégies visant son bien-être futur. Qu’il s’agisse de fournir ou financer un logement, de négocier ou créer un emploi, de dénicher un programme de soutien, de faciliter les relations familiales et sociales, les proches rencontrés se mobilisent sur divers fronts qui seront également abordés dans les stratégies visant à atténuer l’impact de l’incarcération dans leur quotidien.
Quand ils [le juge et les avocats] ont décidé de le faire sortir, il s’en venait chez moi.[…] Mais j’ai dit, mais là, il ne va pas bien, il faut qu’il s’en aille se faire stabiliser. […] Là, je leur avais demandé qu’il sorte de prison, mais qu’il aille en thérapie, mais direct, qu’il ne passe pas par chez moi. Hey, il est resté deux mois chez moi et j’ai servi à l’espèce de… j’étais comme un hôpital psychiatrique. Il était en psychoses. – Maryse, mère.
Je me suis donc battu bec et ongles et j’ai trouvé un établissement d’enseignement supérieur qui dispensait des cours par correspondance sur papier, car ils n’étaient pas autorisés à utiliser des ordinateurs. Et donc, il a pu suivre un programme de certificat pendant son séjour là-bas. – Erika, mère.
2. Stratégies de gestion du système correctionnel
Face aux difficultés que représentent pour les proches les procédures correctionnelles, les personnes interviewées gèrent à la fois le manque d’information, de transparence et de cohérence du système correctionnel. Ils tentent avant tout d’obtenir une information claire et fiable.
C: Ben, on c’était déjà fait dire, ce n’est pas plus grand que des 5X7. Là, on s’est fait dire qu’on pourrait envoyer les grosses photos là. N : 8X10. C : 8X10. Fac là, on a dit « on peut-tu parler à quelqu’un plus haut placé pour être sûr parce que…» N : Non, ah ça c’était fou là. J’appelle. Ça c’était à (pénitencier fédéral). « Je peux-tu savoir c’est quoi les grandeurs de photos ». Elle me dit: « ah, 5X7 ». Je dis: « des 8X10, on peut-tu envoyer cela, c’est les photos d’école ?». Elle dit : « oui, il ne devrait pas y avoir de problèmes ». Je dis: « non, non, je ne veux pas savoir s’il ne devrait pas y avoir de problèmes, madame, je veux être sûr. C’est quoi vos politiques? ». Fac, elle dit: « un instant monsieur ». Ils m’ont transféré ailleurs, là, il y a quelqu’un d’autre qui m’a parlé. C : Elle a fini par dire, cette personne-là, « si ce n’est pas un poster, ça va être correct ». Ok. N : Parfait, je vais prendre votre nom madame. Elle a dit: « un instant je vais aller m’informer ». (rires) Non, non, mais tsé, elle est là pour répondre, mais quand je dis je vais prendre votre nom, « bon, je vais aller m’informer ». – Normand et Claudette, parents.
Lorsqu’ils sont confrontés à une pratique ou politique qui leur semble injustifiée, ils adoptent parfois des stratégies proactives pour contourner les limites qu’impose l’institution. Pour contourner les limites d’appels ou les frais élevés qui y sont associés, ils chercheront à obtenir un numéro de téléphone local ou à transférer les appels.
Fac là mon téléphone de maison transfert sur mon cellulaire, celui-là, celui à moi là, mettons. Fac là je ne manquais plus ses appels. Pis là présentement, j’ai mis de où qu’il est. Donc là, il peut m’appeler n’importe quand. Pis là j’ai trouvé, ben je ne sais pas si on a le droit, mais en tout cas, je ne le demanderai pas là, une conférence à trois. Donc mettons qu’il veut parler à un de ses amis. Au lieu qu’il appelle, puis que ça lui coûte, mettons tant de la minute, parce que ses amis proches sont tous autorisés de toute façon là-bas. C’est juste que ça coûte cher. Donc il m’appelle, moi j’appelle l’ami fac on parle à trois. Ben tsé, je mets le téléphone là et il parle les deux ensemble. – Georgette, mère.
Pour contourner les limites d’envoi de photos, les proches deviennent créatifs.
Je lui envoie des photos pour qu’il puisse voir ce qui se passe. […] Je lui envoie des photos parce que la prison dans laquelle il est en ce moment, il, ils ne vous laissent avoir que 3 photos ou quelque chose comme ça. 3 photos. Donc, à la place, j’écris des lettres et je mets les photos dans le document Word, c’est ça ? Et je les imprime. Donc, il a le droit de faire ça. – Kim, mère.
Les stratégies sont parfois de l’ordre de l’évitement: adopter des comportements visant à éviter les confrontations avec l’institution carcérale.
Je suis à peu près la 5e personne qui attend pour donner de l’argent ou pour s’inscrire en avant là. Je suis à peu près la 5e personne pis il y a une pauvre petite madame qui est là. Elle a rien fait elle la madame. Elle est comme moi elle, on a rien fait nous autres. Là, elle donne 100$ pour son garçon. Il y a deux monsieurs qui sont là, plus une madame. Les deux monsieurs commencent à trouver cela drôle, “bon on n’en aura même pas assez pour aller manger au McDo ensemble à soir. Avec cet argent-là tsé”. Fac, moi je suis en arrière, pis je commence. “Hey les gars, ça ne se fait pas ce que vous faites”, pis là je commence. Là, ça n’a pas été long que j’ai eu des gardiens proches de moi. Fac là, j’ai dit, ‘c’est correcte, je vais me calmer’. Fac là, j’ai arrêté de… Pis là, parce que j’ai osé dire quelque chose, quand je suis arrivé à mon tour, là j’apportais une montre à mon garçon […] Fac là, j’arrive, je sais qu’il y en a qui en ont avec des aiguilles au provincial. J’arrive, pis là le monsieur, il dit, bon, ben à partir d’aujourd’hui, ça prend une montre digitale.[…] Il voulait me faire suer le monsieur. J’ai dit parfait, je ne me suis pas obstiné…j’étais en esti. J’ai pas dit un son, parce que toi, il faut toujours que tu restes poli, même si eux autres là, ils te font chier. C’est de même que ça se passe. Ben ça, c’est de l’abus de pouvoir. – Normand, père.
Ces stratégies d’évitement qui engendrent des comportements de censure sont particulièrement notables lorsque les proches cherchent à éviter un test positif au détecteur ion scan.
Mais moi, si je côte positif en rentrant en prison, ils peuvent m’ôter mes visites […] Tsé, tu as toujours ce risque-là. Parce que là, tout d’un coup, moi s’est rendu quasiment parano là. […] j’ai un garde-robe où je vais en visite. C’est juste pour aller en visite pour être sûr. […] Tsé, c’est comme, je faisais laver mon char une fois par semaine (rires). – Mary, conjointe.
Je n’y suis pas allé aujourd’hui parce que j’avais peur de faire un nouveau test de dépistage positif. Et avant d’y aller, la dernière fois, nous avons pris tous les vêtements que nous allions porter et nous les avons lavés, mis dans le sèche-linge et, et nous avons fait cela le vendredi soir. […] Et puis on s’est levé le matin et on a pris une douche. Et puis nous sommes passés de la douche à la lessive et nous avons mis les vêtements dans le sèche-linge. On s’est mis des gants de nitro sur les mains quand on a pris la voiture, non ? Au cas où, vous savez, parce que vous passez par le Tim Horton’s. Vous prenez quelque chose. Il y a, il y a tous ces trucs – […] Donc, on a mis des gants de nitro. On a lavé nos bijoux. On a lavé nos bagues. On n’a pris qu’une pièce d’identité. Notre permis de conduire. […] On l’a lavé. Nous avons lavé nos lunettes. Tout ça. Tout ça pour aller voir Jacob avec une visite à huis clos derrière une plaque de verre. – Ines et Jeff, mère et père.
Nous avons vraiment fait attention. Nous n’avons jamais fait d’arrêt sur le chemin. Nous avons toujours mis notre argent dans un sac. – Erika, mère.
Dans certains cas, c’est au contraire une stratégie de confrontation de l’institution et de son personnel par des moyens aussi divers que l’humour ou l’opposition.
Puis, là, elle me dit… elle dit: «Non, les collations, c’est pas autorisé.» Je fais: «Voyons, ça fait deux mois que je viens deux fois par semaine, j’ai tout le temps une collation, là.» «Non, ça, on n’en veut pas dans le… on n’en veut pas, des collations. Ça fait des dégâts.» Là, j’étais: «Bien, vous payez un détenu pour faire le ménage. Je veux dire, c’est même pas vous autres qui le fait, là. Qu’est-ce que ça te change?» «Non, c’est pas toléré. Elle a droit à son lait puis c’est tout.» Puis pas de crayons de cire pour faire des dessins. Puis pas de… «Elle amène donc bien des bébelles.» Je dis: «Bien oui, mais, là, t’sais, là, pour une heure dans un petit trou perdu dans le fond d’une rangée. Je veux dire, c’est sûr que je lui amène des jouets, là. – Patricia, conjointe.
T’sais, ils lisent notre courrier. Ça fait que: «Bonjour, monsieur…» T’sais, on écrivait des… des affaires, voir s’il allait y avoir des… on saluait les gens qui allaient lire nos courriers. C’était très drôle. On sait jouer… – Ariane, conjointe.
Il y avait un garde à la B*. La madame est arrivée, une madame d’un certain âge, elle s’en vient voir son mari, ça avait passé dans le journal, il avait abusé de nombreux enfants. La madame vient le visiter, elle regarde par terre. (…) elle shake, pis elle shake pis ils la fouillent pis là, au lieu d’être gentils pis d’être polis avec. Là, il commence, bon vos sous-vêtements, elle sort ses deux petites paires de culottes tsé, « nanon, montrez-les », là il la fait montrer ses culottes de même. Pis là, votre brassière, pis là elle sort la brassière, il y en a une sur le dos, tout à coup, tu lui montres comme ça tsé, elle montre son autre brassière. Bon, pis là il continue, mais là, à cette époque-là à la B*, on faisait ça dans l’entrée. Là, tu as tous les gardes qui entrent et qui sortent de la journée, c’est un changement de chiffre à cette heure-là. Tous les employés qui faisaient mettons, à cette époque-là, ils étaient en train de construire l’hôpital, tous les gars de la construction pis toi tu es là en train de montrer tes sous-vêtements. Là, la madame… écoute, moi je voulais frapper le garde. Une partie de moi, je vais perdre mes visites, mais là, ça pas d’allure. Aussi, j’ai décidé que je me revengerais. Tout à coup, la madame a passé, moi j’étais arrivée, pis lui il part. Il dit, vos brassières, pis je les montre, « une blanche, une noire », pis là je déconne. Mais le gars aux rayons X, il est tordu de rire pis il essaye de ne pas… un moment donné il dit « votre lubrifiant ». Je le sors. Il dit : « je ne comprends pas que vous ameniez du lubrifiant, on en a ici ». Je dis, « ben c’est parce que lui est bon anal ». Et voilà, il n’a pas resté longtemps à faire ça. Par après… oui, je le sais, j’ai un sens de l’humour incroyable des fois. Ça, c’était too much. (humour) – Mary, conjointe.
Certains réagissent à ces obstacles par des stratégies qui visent à solliciter des exceptions ou des changements auprès de personnes-ressources telles que le Chaplin ou le Superintendent.
Alors, j’écris une lettre. J’écris une lettre au directeur, au surintendant, peu importe comment ils s’appellent, et elle va à l’autre… Vous savez, à la personne, l’assistant. Et ensuite l’assistant vous appelle et vous avez une discussion avec l’assistant. Et puis ils disent qu’ils se renseignent. Ils vous rappelleront. Et puis vous leur donnez quelques semaines pour vous répondre, parce que tout est lent dans une institution. Et puis ils ne vous recontacteront pas. Alors, vous les appelez et vous leur laissez des messages pour qu’ils vous rappellent. Puis vous leur dites : « Dois-je demander à tous mes amis d’écrire des lettres pour que mon fils puisse avoir du matériel de lecture ? Vous savez, ensuite ils disent : « Eh bien, l’aumônier est responsable de la lecture et nous avons du matériel de lecture ici. » – Diane, mère.
Pour quelques-uns, c’est une stratégie de dénonciation publique qui est adoptée lorsqu’ils entreprennent d’interpeller le public, les médias, les députés ou les ministres.
N : Il s’est tout fait voler ses affaires. Fac là, moi j’avais toutes les factures. Fac lui, il, c’est moi qui ai fait la plainte. J’ai été voir la députée, pis la députée, finalement, ils m’ont dit ok. C : Lui a fait une plainte. […] Un refus. Une plainte de 2e niveau, un autre refus. Pis là on a dit ok, là nous autres on embarque. N : C’est moi qui paye au bout. Même si c’est pour lui, c’est moi qui paye. C : On est allé voir le député. Pis là, le député a appelé. Pis là, on a eu l’appel, c’est ça? On a eu l’appel de quelqu’un de haut placé dans la prison. Pis là ben, ils ont accepté de nous rembourser un montant. – Normand et Claudette, parents.
Tsé des fois, je suis un peu revendicatrice par rapport au système. Des fois, j’écris des lettres ouvertes. […] J’ai écrit une fois une lettre ouverte dans le journal. […] Je disais: “qui êtes-vous pour juger?”. C’était ça mon thème. Je trouve que tous les médias ils font tout un tollé de quelqu’un qui vient d’être incarcéré et elle est mise devant tout le monde comme étant une méchante personne. Imagine-toi les parents de ces enfants-là. – Maryse, mère.
Quelques personnes rencontrées ont même mis en place des stratégies d’information et d’entraide des autres familles de personnes incarcérées.
Une fois, je n’avais pas un chandail qu’il fallait. Une fois, j’avais une camisole avec une veste, je la trouvais belle. Je me trouvais propre, bien ça n’a pas passé. Fac il y a une dame, très gentille, qui m’a prêté un chandail. Elle avait un t-shirt supplémentaire, elle me l’a prêté. – Maryse, mère.
Nous avons rencontré des proches qui ont créé un groupe de soutien.
Eh bien, c’était vraiment bien. P et moi, à cause de notre expérience, nous avons dit : « Vous savez, il n’y a rien là dehors. Il n’y a rien du tout. » Et, euh, on l’a fait, on s’est réunis avec deux autres. Une dame de la communauté et le John Howard, et nous avons créé un groupe de soutien. Et on le fait maintenant, on en est à notre sixième année et on se réunit tous les jeudis. Et nous faisons un travail de sensibilisation, je suis sûr que vous le savez. Et, euh, je pense que c’était… Pour partager notre expérience donc… Parce que nous sommes en avance sur la plupart d’entre eux. Hum, pour qu’ils puissent apprendre de notre expérience. Les rediriger, les aider à trouver des informations. Et je pense que c’est, je pense que ça a été la plus grande aide parce qu’en sortant d’une période si moche de ma vie, je peux apporter un peu de lumière sur un chemin qui est si sombre pour les autres mères. – Fanny, mère.
D’autres ont contribué à un document d’informations et conseils pour les familles.
C : On a participé à la conception d’un livre. N : D’un petit document. C : Pour aider, pour aider les gens. N : Euh, donner des trucs exemple, comme nous on est en région, mais on n’est pas dans la région de F*VILLE. Fac là, ce que j’ai fait, je n’avais pas de cellulaire, fac je me suis acheté un cellulaire. Je l’ai fait donner un numéro de F*VILLE sur le cellulaire. Comme cela, quand lui appelle, c’est un appel local. Fac, ça lui coûte moins cher de la minute. Au bout du compte, c’est moi qui sauve, parce que c’est moi qui paye les appels. – Normand et Claudette, parents.
3. Stratégies visant à atténuer l’impact de l’incarcération dans leur vie personnelle
Face à l’étendue des effets de l’incarcération qui touchent de multiples facettes de leur vie, les proches doivent entreprendre de nombreux ajustements pour justement minimiser ses effets négatifs et ses impacts dans leur quotidien. Certains proches vont réduire leur visite en détention afin d’en minimiser les coûts humains, financiers et sociaux.
Je n’y suis pas allé aujourd’hui parce que j’avais peur de faire un nouveau test de dépistage positif. Et avant d’y aller, la dernière fois, nous avons pris tous les vêtements que nous allions porter et nous les avons lavés et mis dans le sèche-linge […]. Et puis nous nous sommes levés le matin et nous avons pris une douche. Et puis nous sommes allés de la douche à la buanderie et nous avons mis les vêtements dans le sèche-linge. On s’est mis des gants de nitro sur les mains quand on a pris la voiture, non ? Au cas où, vous savez, parce que vous passez par le Tim Horton’s. Vous prenez quelque chose. Il y a, il y a tous ces trucs […]. On a lavé nos bijoux. On a lavé nos bagues. On n’a pris qu’une pièce d’identité. Notre permis de conduire. On l’a lavé. Nous avons lavé nos lunettes. Tout ça. Tout ça pour aller voir Jacob avec une visite à huis clos derrière une plaque de verre. – Jeff, père.
Hum, la première fois que je lui ai rendu visite en tant qu’adulte, ouais c’était assez dur. Bien sûr, il était derrière une vitre et hum, et c’était assez dur à faire, mais j’y allais quand même. J’y allais chaque semaine et je lui rendais visite. Je le faisais souvent. Donc, les deux dernières fois qu’il est allé en prison, euh, je ne suis pas allé le voir. J’ai refusé. Je lui ai dit, « Je ne te rendrai plus visite en prison. Je ne peux plus. Je me fiche de savoir combien de temps ils te gardent. » – Ida, mère.
D’autres vont, au contraire, multiplier leur visite en détention afin de minimiser leur vécu de la distance et la séparation avec l’être cher. Dans tous les cas, des sacrifices sont faits en fonction de ce qui leur est possible, des ressources humaines et matérielles dont ils disposent. Ces ressources sont, en effet, au cœur de leur vécu quotidien et elles vont souvent déterminer la fréquence et le type de contact qu’ils vont pouvoir maintenir avec la personne incarcérée.
Le coût des appels téléphoniques les oblige souvent à réorganiser leur budget, réduire la durée et la fréquence des appels, imposer des limites à la personne détenue ou s’organiser pour faire des appels à trois.
Ouf tabarnac! (rires). Tout à coup, je dis bon ok, je lui ai expliqué. Quand tu m’appelles le jour, tu parles une demi-heure, ça coûte 10$. Quand tu m’appelles le soir, ça coûte 5$. Moi, je suis prête à mettre 500$ par mois de téléphone, tout à coup, gère ton budget. Parce que tsé un moment donné, moi je ne peux pas t’appeler. Et ça aussi, c’est difficile. – Mary, conjointe.
Nous n’avons pas de ligne fixe, donc le téléphone est un problème. Il ne peut pas, il ne pourrait pas me téléphoner du tout depuis l’OCDC. Alors, pour appeler ma sœur, Dieu merci, elle a pris tous ses appels collectifs et lui a dit qu’il pouvait appeler quand il voulait. C’était vraiment bien. – Dem, conjointe.
Certaines places que j’ai trouvé qu’il avait des numéros FunGo sur Internet. Tu télécharges le numéro de la place comme ça quand il a une carte d’appel, ça te coûte juste 0.50$ d’appeler avec ton téléphone intelligent. – Georgette, mère.
Le coût et la durée du transport jusqu’au lieu de détention déterminent également la fréquence des visites possibles. À de nombreux égards, l’incarcération représente un coût élevé en temps, énergie et argent. Pour gérer et limiter l’impact de l’incarcération dans leur vie, les proches rencontrés réorganisent leur quotidien, leur horaire, leur routine. Certains vont même parfois jusqu’à réorganiser leur milieu de vie; le logement est souvent un élément qui est adapté à cette nouvelle situation.
Lui était à A* à l’époque, 3 heures de route. Pis dans ce temps-là, je prenais un cours à [l’université] le samedi. Je montais le vendredi le voir, je revenais à [l’université], j’allais à mon cours, je repartais le dimanche, j’allais le voir. […] Après cela, j’ai réorganisé mon horaire de travail pour avoir deux jours. Et vendredi, samedi, dimanche off. Je partais le vendredi, je me suis loué un appartement à A*. J’avais une maison ici et un appartement là-bas. – Mary, conjointe.
Certains déménagent plus près de l’établissement de détention pour faciliter leurs déplacements, d’autres adaptent leur hébergement afin de pouvoir mieux accueillir la personne détenue à sa sortie ou au contraire de ne pas être dans cette situation qu’ils jugent trop difficile.
En fait, la maison, ça ne fait pas si longtemps, ça fait trois ans que je l’ai achetée. Je restais en appartement à Montréal. J’ai acheté la maison, beaucoup pour qu’il aille une chambre pour lui parce que je voulais le reprendre en sortant, pis je voulais qu’il aille à l’école, pis je voulais lui donner une chance de faire quelque chose de sa vie. – Alexandra, mère.
Quand il reste longtemps chez moi, c’est l’enfer. Fac là, je veux déménager et je ne veux pas lui donner mon adresse, je ne sais pas si je vais réussir. Je veux avoir une place à moi, tranquille, et il ne sait pas où je reste. Je vais juste lui donner mon numéro de téléphone. – Maryse, mère.
Ces stratégies d’ajustements concernent parfois également la carrière professionnelle. Pour certains parents, cette expérience les pousse à prendre une retraite anticipée. Pour d’autres, au contraire, ils vont travailler davantage et un plus grand nombre d’années afin d’économiser et être plus serein quant à l’avenir de la personne incarcérée. Pour les parents, cela implique parfois un report ultérieur de la mise en retraite, parfois un peu forcée comme dans le cas de Noémie.
Le bureau de santé a essayé de me mettre en boîte […] j’étais suivie par un psychiatre, trouble d’adaptation avec humeur anxio-dépressive dû à un stress familial majeur. Pis quand, moi j’étais prête à retourner fin septembre […]. Pis la fille au bureau de santé quand elle m’avait appelé pour cela comme une semaine avant, elle dit non, on refuse, elle me dit trois fois dans le téléphone, « vous savez madame Noémie*, vous pouvez prendre votre retraite aussi, hein ». […]. Au début, ma retraite, c’était prévu comme février 2019. Je l’ai pris en août 2016. – Noémie, mère.
Certains vont changer de travail pour avoir des horaires plus flexibles et compatibles aux visites et appels.
Je n’aurais jamais pu obtenir un emploi avec tout ce que j’ai vécu avec lui parce que le nombre de fois où j’ai été au tribunal. Le fait d’aller le voir. Juste le mental – Vous savez, ça m’a affecté. Je prends des médicaments. J’ai de l’anxiété. La pensée de, vous savez, parfois je veux juste être tenu. Et la pensée de devoir, vous savez, m’habiller convenablement et sortir en société tous les jours me terrifie un peu. Donc, vous savez, ça a affecté ma santé mentale. C’est, vous savez, je fais toujours face. Je suis à mon compte, donc je peux, je peux avoir un peu de contrôle sur le moment où je fais quoi. Donc, si j’ai une date d’audience, je peux la fixer à l’avance […]. Donc, oui, je n’aurais pas pu occuper un emploi où je devais être là tout le temps par ce que j’aurais – Même si j’avais pu le faire mentalement, j’aurais dû rater trop de choses, vous savez, avec la crise de mon fils. – Kim, mère.
D’autres mettent sur pied une nouvelle trajectoire et statut professionnel pour être en mesure d’intégrer la personne détenue à sa sortie.
Je commence à travailler sur des bateaux. Et c’est ce que nous voulons faire, c’est construire une entreprise de bateaux et « X » peut avoir quelque chose à faire. – Jeff, père.
Pour les parents surtout, il s’agit d’anticiper les conséquences futures de l’incarcération de leur fils. Ils réorganisent leur héritage et tentent de mettre en place un plan d’avenir qui leur permet d’être un peu moins stressés pour leur proche judiciarisé.
Je vais lui envoyer de l’argent de temps en temps si je vois que c’est à bon escient. Tsé, c’est quelque chose, il faut que je pense aussi à mon testament aussi. Il faudrait que je fasse une fiducie, je ne peux pas lui donner de l’argent, 20 000 d’un coup. Hey, je vais être morte. Mais tsé, je vais essayer de faire en sorte qu’il en ait un petit peu tous les mois. Quelqu’un gère cela, c’est toutes sortes d’affaires qu’il faut penser. Parce qu’il va y retourner en prison. – Maryse, mère.
Les proches doivent parfois adopter des stratégies qui, parce qu’elles visent à minimiser l’impact de l’incarcération dans leur vie, entraînent une mise à distance avec la personne incarcérée. Certains vont éviter ou réduire les visites pour ne pas être exposés au traitement carcéral. D’autres vont refuser d’être garants de la personne à sa libération pour ne pas se voir imposer un rôle de surveillant à domicile et les responsabilités légales qui y sont rattachées.
Alors, ma mère a fini par se tenir debout. Et c’était la chose la plus difficile qu’elle ait jamais faite. Elle, comme, debout devant le juge et elle est, comme, comme, « Je ne peux pas. » Comme, elle est, comme, « Je travaille. Mon mari travaille. Nous vivons au milieu de nulle part. […] Donc, elle est, comme, « Donc, vous dites que, comme, l’un de nous doit être à la maison à tout moment juste avec lui ? » Et elle répond : « Je ne peux pas garantir qu’on va faire ça et je ne peux pas dire que… Il a déjà fugué une fois et il sait comment obtenir de l’argent. […] Comme, ma mère est indépendante. Mon père travaillait pour – Il travaillait tout le temps. Il a fait, comme, l’entretien des pelouses, comme, le relevé des compteurs. Donc, comme, nous n’avons pas, comme, un congé de maladie payé. Je commençais ma carrière donc je n’en avais pas non plus. Alors elle me dit : « Vous demandez à l’un d’entre nous de prendre… Ça peut paraître stupide, mais vous demandez à l’un d’entre nous de prendre un congé sans solde pour le surveiller. » – Ophelia, sœur.
Il est retourné en prison et l’avocat a commencé à me demander d’être à nouveau sa caution ! Je suis, comme, « Avez-vous pris du crack ? » Il a attaqué la femme du dessus de chez moi. J’ai été assignée à comparaître au tribunal. Je suis allée au tribunal. Je ne dis pas ça – je fais tout pour ne pas être la caution. Je fais tout. Je fais… Et il rit. Il est dans l’enclos en train de se moquer de moi, parce que je fais tout pour ne pas être la caution. Je ne veux pas qu’il revienne. Arrête de me le renvoyer, tu sais ? Tu fais ça depuis 10/12/14 ans. Arrête de me le renvoyer. – Tammy, ex-conjointe.
La dernière fois que je lui ai parlé au téléphone, il m’a dit : « Je pourrais être libéré sur parole l’année prochaine et vivre dans une maison de transition ». Et, il a dit, « Oh, je leur dirai de vous appeler. » Alors, j’ai pensé – comme, une partie de moi pense, « Je ne veux plus être impliquée. » Et, tu sais, il ne va pas venir vivre avec moi. Je ne lui ai pas encore dit, mais je vais déménager. Je vais réduire mes effectifs et déménager. – Tara, mère.
Les difficultés rencontrées lors de cette expérience d’incarcération d’un proche engendrent un besoin de soutien important que certains comblent en fréquentant des groupes de soutien ou des thérapeutes.
Certaines personnes ont évoqué des stratégies personnelles de gestion des émotions et du stress vécus.
Puis, euh, je sais pas, c’était comme, euh, je le mettais comme dans un tiroir puis je me dis: «Plus tard, je vais y penser, là.» […] Il y a une journée par semaine, je passais ma journée couché. Puis je faisais rien. Puis, t’sais, ça m’arrive pas, ça, normalement, là. Mais, une journée par semaine, le jeudi d’habitude, là, j’étais tellement fatiguée puis je faisais juste aller porter la petite à la garderie puis je revenais me coucher puis je passais la journée couchée. – Patricia, ex-conjointe.
Donc, l’essentiel était sa chambre. C’était un sanctuaire. Tout ce qui a été laissé ce jour-là était comme il était. Et ça devait rester ainsi, parce qu’il rentrait à la maison. (pleur) […]. Donc, je dormais dans sa chambre et puis mon mari a fini par sortir le matelas de sa chambre et il a dit, genre, « C’est fou. Tu ne peux pas faire ça. » C’était juste que je pouvais encore le sentir et je voulais rester dans sa chambre jusqu’à ce que je perde son odeur. Et, euh, ce qui peut sembler bizarre, mais pas […]. C’est avec ça qu’on vivait. Tu sais, deux ans de toute façon, genre […] et je m’y suis habituée. Et, euh, finalement j’ai mis les choses de côté. Je n’ai rien jeté, j’ai juste tout gardé et rangé. Je lui ai dit aussi que vous savez que j’avais fait ça et il a dit, « Maman, tu aurais dû faire ça dès le début. » Et je lui ai dit : « Je pensais que ce serait juste de t’emballer et de te laisser, tu sais ? ». – Fanny, mère.
4. Stratégies de gestion des interactions sociales à l’extérieur des murs
Face aux difficultés rencontrées ou anticipées dans les divers cercles sociaux qu’ils fréquentent, les proches développent également des stratégies de gestion de leurs interactions sociales au quotidien qui prennent souvent la forme d’évitement. Il s’agira de retraits de certaines conversations, certaines personnes, certains lieux et certaines communautés.
J’étais très impliquée dans ma communauté de foi ici et je ne sais pas si cela en fait partie, mais je me suis vraiment retirée. Je n’ai pas fréquenté l’église depuis septembre. – Hannah, tante.
On n’allait même plus à l’épicerie au village […]. On a déménagé à cause de ça, on ne pouvait plus rester où on était. – Olivia, fille.
Le témoignage d’Erika illustre comment l’évitement est une stratégie mise en place préventivement par les proches même à l’endroit des amis bienveillants.
Les quelques amis que j’ai laissés entrer et tous les autres sont passés à côté. Je n’ai pas pu faire face. Je n’ai pas pu faire face. Je n’oublierai jamais, je n’oublierai jamais parce que beaucoup de gens sont gentils. J’ai beaucoup d’amis gentils que j’ai exclus et je ne pouvais pas, je ne pouvais pas le supporter. Je n’oublierai jamais, c’était un jour d’été et j’avais la porte du garage ouverte parce que, je ne sais pas, je nettoyais ou balayais ou quelque chose comme ça. Et une amie que je n’avais pas laissée entrer dans le cercle s’est arrêtée et est sortie et elle avait un panier cadeau pour moi. Et j’ai eu une crise de panique. Je n’avais jamais eu de crise de panique de ma vie. Mais rien qu’en la voyant, je n’ai pas pu, je n’ai pas pu faire face et j’ai couru dans la maison. Et elle l’a laissé sur le pas de la porte. J’ai eu une crise de panique. Je ne pouvais pas dire un mot. Et c’était une bonne amie. Je la connaissais depuis des années. Donc, ça vous enlève la confiance, ce genre d’expérience. Cela vous enlève votre sens de l’identité, de ce que vous êtes en tant que personne. Vous vous blâmez. – Erika, mère.
Assez souvent, les proches que nous avons rencontrés nous ont expliqué limiter leurs interactions sociales afin d’éviter les jugements moraux envers la personne incarcérée et envers eux. Ils vont, en général, ne pas parler de cet aspect de leur vie à de nouvelles connaissances et éviter le sujet avec ceux qui sont déjà au courant.
Si je rencontre une nouvelle personne, elle ne sait pas que j’ai un fils. – Kim, mère.
Mais, comme, t’sais, à l’école, je le… je le dis pas à mes profs, là. Oublie ça, là. – Patricia, conjointe.
Kalinda, dont le conjoint est détenu, explique de manière claire et précise en quoi le fait d’avoir un proche incarcéré influence ses manières d’être et d’agir dans l’ensemble de ses relations. Outre quelques individus qui lui sont proches, elle explique camoufler cette partie de sa réalité au reste du monde ce qui affecte grandement la nature de ses interactions sociales.
Ma meilleure amie, elle le sait. Ben j’ai deux amies […]. Les deux, là, le savent et puis, ben, de tout le monde qu’on connaît en commun qui vient de mon pays. C’est tout. Pas mon travail, pas l’école non plus quand j’étais à l’école. Ça fait beaucoup de barrières. Même, t’sais, en tant que collègue, tu ne peux pas développer des relations parce que tu fais attention à ce que tu dis. T’sais, quand il appelle, tout le monde peut entendre qu’est-ce que cela dit. Faque que, tu as comme certaines résistances. Faque c’est difficile dans ce temps-là de créer des liens avec les gens. Faque, tu te retrouves à avoir juste des relations comme «basiques». Mais jamais tu peux aller en profondeur. C’est con, mais ça fait partie des pertes actuelles. – Kalinda, conjointe.
Il s’agit en fait d’un moyen que l’ensemble des participants, sinon tous, ont employé pour conserver un semblant de normalité dans leurs rapports avec les autres. Le témoignage détaillé d’Erika illustre la stigmatisation qu’elle a subie et qu’elle a souhaité prévenir par ces stratégies d’évitement qu’elle juge essentielles à son processus de guérison.
Je ne peux pas imaginer qu’il y ait trop de gens qui le feraient, qui le feraient, qui le partageraient ouvertement parce que la stigmatisation est incroyable. La honte, non seulement de la personne qui est entrée en conflit avec la loi, mais la honte colle à tous les membres de la famille comme de la colle et nous devons tous avoir joué un rôle dans sa mauvaise prise de décision. Nous devons tous avoir joué un rôle dans cette situation. Cela vous colle comme de la colle. (à propos de ses autres enfants) Aucun n’a de relations stables. Il n’y a pas eu beaucoup de fois où je me suis dit : « Oh, mon Dieu. Comment présenter cela à de futurs beaux-parents ? » Tu sais, « Comment on peut même présenter ça à la future belle-famille ? » Je ne sais pas. Dieu merci, aucun d’entre eux n’a de relations stables! Donc, nous avons tous été jugés. Absolument tous jugés. Et donc, comment ai-je fait face à cela ? J’ai changé d’emploi….et cela m’a énormément aidé. Personne ne me connaissait là-bas, n’est-ce pas ? Ça m’a énormément aidé et, bien sûr, avec le temps, vous savez, vous commencez à guérir. Tout le monde commence à guérir. J’ai dit à toute notre famille qu’elle avait commencé à en guérir. Mais il y a toujours des cicatrices, n’est-ce pas ? Il y a toujours des cicatrices. Et je dois dire aussi que dans mon nouveau travail, vous savez, tout le monde a des photos de ses enfants sur son bureau, non ? D’autres parleraient de ce qu’ils ont fait avec leurs enfants. Ce qu’ils ont fait, vous savez, bla-bla-bla. Je ne le fais jamais. Je dirais que je garde ma vie personnelle très privée. Très, très privée. Et vous savez, les gens me disent : « Oh, vous savez, venez prendre un verre avec nous après le travail ou autre chose » et je leur réponds : « Oh, vous savez, je suis une personne très occupée. Je suis très, très occupé, comme en dehors de mon travail. Donc, je ne fréquente pas le personnel, vous savez ? Et j’ai tendance à travailler dans mon bureau et, vous savez, à faire ce que je dois faire et je garde ma vie professionnelle bien séparée de ma vie privée. Et c’est comme ça que je gère maintenant. Je dirais que cela a plutôt bien fonctionné pour moi ces six dernières années, je suppose. Vous savez ? Six, sept ans, donc ça a bien fonctionné pour moi depuis que j’ai changé de travail. – Erika, mère.
Elle explique, par contre, que son époux adopte une stratégie de compartimentalisation différente. Il pratique l’évitement du sujet de conversation douloureux sans pour autant s’imposer un isolement social. Il attribue cette différence de stratégie aux types d’interactions sociales propres au genre masculin.
J’en ai parlé à mon mari et je lui ai dit : « S’il y avait eu un groupe de soutien pour les hommes, y serais-tu allée ? Il a répondu que non. Il a dit : « Je le cloisonne. C’est une partie de ma vie et j’ai toutes ces autres parties de ma vie. » Alors qu’avec moi, elle m’a englobée. Je pense que les femmes portent leur chagrin différemment des hommes et j’ai dit, « Est-ce que c’est juste vous ou diriez-vous que vous pouvez généraliser comme la plupart de vos amis ? » Et [mon mari] m’a répondu : « Oui », « laissez-moi vous donner un exemple. » Il m’a dit : « Quand vous allez déjeuner avec vos amies, de quoi parlez-vous ? » J’ai dit : « Eh bien, nous parlons de nos enfants. Nous parlons de nos emplois. Nous parlons de nos familles, de nos parents et de ce genre de choses. » J’ai dit : « De quoi vous parlez ? » Il a dit : « De sport. » Il a dit : « On ne parle jamais de nos familles. On parle peut-être un peu de travail » a-t-il dit, « on parle de sport et on parle de trucs stupides. » Il a dit : « On ne parle pas de la famille. » – Erika, mère.
Si l’évitement semble une stratégie privilégiée, certaines personnes rencontrées nous ont dit avoir adopté la stratégie opposée. Les participants témoignent parfois d’une attitude proactive dans la divulgation de la nouvelle.
J’ai commencé à travailler. J’ai appelé le directeur exécutif immédiatement et, euh, elle n’était pas là. Je lui ai donc envoyé un e-mail pour lui dire que lorsqu’elle serait arrivée, elle m’a appelé et m’a dit : « J’en ai déjà discuté avec le président et avec le conseil d’administration. Je l’ai fait vendredi ». Elle m’a dit qu’au moment où Brian a été arrêté, elle avait appelé le président du Conseil et je lui ai dit : « Eh bien, je crains que la presse ne soit là pour essayer de découvrir des choses ». Bref, nous nous sommes mis d’accord sur un e-mail qu’elle m’a envoyé en me disant : « Que pensez-vous de tout cela ? » Et j’ai pensé que c’était bien. J’ai changé quelques petites choses. Et nous l’avons envoyé à toute l’Agence. Tout le monde a su tout de suite. – Diane, mère.
Mon réseau que j’ai en ce moment j’en ai des amis (silence). Ils savent tout, ils savent tout, tout, tout. Je l’ai écrit même sur Facebook.… j’ai plus peur. J’ai plus peur du jugement. Mon employeur le sait. Je n’ai plus peur de tout ça. – Maude, conjointe.
Mais il y a même des clientes qui le savaient et moi je n’ai jamais caché le fait que j’étais mariée avec un gars en dedans. Ça, ça jamais été caché. Tout le monde le sait où ce que je travaille la, où ce que j’ai déjà, tout le monde le sait. – Mary, conjointe.