La structure sécuritaire de l’institution prison influence et impacte toutes les personnes qui se trouvent en contact, de près ou de loin, avec celle-ci. En ce sens, les proches de personnes incarcérées ne font pas exception. Dans cette section, il est question des différentes pratiques et politiques correctionnelles. Nous explorerons aussi leurs effets directs et indirects sur les proches dans divers aspects: les informations transmises, ce qu’on peut ou non fournir à une personne détenue en tant que proches, les procédures encadrant les appels téléphoniques, le courrier et la manière de s’inscrire sur la liste des visiteurs. Plus loin, la question des visites est abordée en détaillant les différents processus de contrôles et d’admission auxquels doivent se plier les proches, ainsi que les différents types de visites permis en détention. Ensuite, puisque les communications avec l’institution prison se font généralement par l’intermédiaire des employés correctionnels, les relations entre le personnel et les proches sont examinées à partir de ce que les participants de la recherche ont indiqué comme étant important pour eux. Finalement, les témoignages recueillis dans le cadre de cette recherche ont permis de dresser une liste des lacunes et des carences de l’institution pénitentiaire. Ceux-ci seront abordés dans la dernière partie de cette section.
1. Les politiques et pratiques correctionnelles qui touchent les familles
Les proches qui souhaitent soutenir et maintenir un contact avec une personne incarcérée doivent apprendre à connaître et à se soumettre aux nombreuses règles et pratiques institutionnelles. Le témoignage de Rosalyne, âgée de plus de 80 ans, mère d’un homme sourd incarcéré au provincial, illustre diverses thématiques qui seront analysées dans les sections suivantes.
Il percevait que la pile de son appareil auditif allait flancher. Alors, il m’appelle pis dit, “regarde, va à tel endroit avec tel numéro de pile pour mon appareil et vient l’apporter à l’accueil là”. Moi, le lendemain matin 9h, j’étais à l’ouverture du magasin pour sa pile parce que là il n’entendrait plus du tout. Puis, je m’en vais à [la prison], porter le petit sac avec la pile. “Ah non, madame, ça ne fonctionne pas comme cela”. J’ai dit, “mais ça fonctionne comment?” “C’est l’infirmier de la prison qui va juger si votre fils a besoin de sa pile”. Pis moi là, genre de réponse qui est totalement pour moi illogique que ce soit l’infirmier du milieu carcéral qui va juger si oui ou non, il a besoin de sa pile pour son appareil pour entendre. […] “il faut que votre fils aille voir l’infirmier avec son appareil et sa pile, puis votre fils vous rappellera quand il aura vu l’infirmier pour vous donner la marche à suivre”. J’ai dit, alors moi naïvement parce que des fois je suis naïve. “Donc, il voit l’infirmier aujourd’hui?” “Ah non madame, c’est sur rendez-vous”. J’ai dit, “mais quand va-t-il voir l’infirmier?” “Je ne peux pas vous répondre madame.” Pis la personne qui est à l’accueil, elle ne peut pas me donner une réponse parce qu’il n’y en a pas de communication, il n’y a pas de cohérence entre tout ce monde-là qui gère une bâtisse. Donc, elle, elle n’a pas l’information, elle ne peut pas me la donner… j’ai dit, “est-ce que mon fils va être informé qu’il doit re-communiquer avec moi, après avoir vu l’infirmier?” “Je ne sais pas madame” […] C’est très gros là. C’est très dur à supporter, c’est dur à gérer. Très difficile. Moi, quand je suis rentré dans mon auto, sincèrement, de la prison, je suis partie pleurer pis j’ai dit mais voyons, ça ne fait pas de sens. Il entendra rien. Alors, combien de jours ça va durer […] il entendait rien alors pis tu sais, sortir, entrer de ta cellule, venir manger, pas manger, écouter la télévision quand tu es sourd là. Donc, lui aussi ça lui a fait vivre des moments. Donc, il me rappelle 48 heures après […] Donc je retourne et je demande à la personne “est-ce que mon fils va recevoir sa pile aujourd’hui?” “Non madame, ici on a des vérifications à faire pour savoir ce qu’il y a dans votre sac que vous nous remettez”. J’ai dit “alors dans combien de jours?” Il m’a fait comme cela: “7 jours”[…] Donc, pis ça c’est une chose que tu ne sais pas, tu ignores totalement comment, pourquoi. -Rosalyne, mère.
A. L’accès à l’information
Les proches rencontrés sont unanimes pour souligner le manque d’informations qui leur sont disponibles et accessibles.
Au niveau d’internet, les sites ne sont pas à jour, on appelle, on a jamais de réponse. C’est presque inimaginable. – Zora, mère.
Moi, je suis quelqu’un qui est structuré et organisé. Fac là, moi la première question que je pose à l’agent : Est-ce que vous avez un, un cahier, quelqu’un qui nous explique le fonctionnement de la prison pour nous autres. Les visites contacts, les visites dans les roulottes, peu importe. C’est quoi votre protocole à vous autres pour les visiteurs, détaillé. Il dit : « ah, on n’a pas cela ». Ben j’y dis : « ben vous devez sûrement avoir quelqu’un qui explique les grandeurs de photos, combien, les ci, les ça. Ce qu’on a le droit d’envoyer, de pas envoyer »…C’est toujours nébuleux. – Normand, père.
Ils doivent eux-mêmes découvrir ce qui est permis ou pas, les procédures et modes de fonctionnement. Le plus souvent, c’est donc un apprentissage autodidacte à tâtons rythmé par des erreurs et des rappels à l’ordre du personnel.
Tu apprends au fur et à mesure. -Fanny, mère.
Je ne savais pas comment les choses fonctionnaient là-bas. Je n’avais aucune expérience […] Et donc j’y suis allée. Vous savez, je veux mettre de l’argent dans la cantine et, vous savez, j’ai mon sac à main avec moi et, vous savez, la garde a été très impolie, d’ailleurs. Et, vous savez, « Vous avez un téléphone portable ? » « Oui », et genre, « Eh bien, maintenant vous n’êtes plus autorisée à avoir un téléphone portable au-delà de la Porte. » Je suis, comme, « Eh bien, je ne savais pas ça. Comment suis-je censée le savoir ? Il n’y a rien à la Porte et donc la première expérience a été que les gars de la prison vous crient dessus. (pleurs) -Gina, mère.
Euh, beaucoup de frustrations puis d’incompréhension. Ça, ce serait vraiment les deux mots principaux que je pourrais donner. Euh, parce que tu, tu sais pas qu’est-ce qui se passe. Personne t’en parle, personne te parle. Tu as pas de numéro à rejoindre […] en prison, quand tu y vas, ils te disent le moins possible, ils te disent rien. Euh, ils te disent pas les mêmes choses. Entre eux, ils se contredisent […] Si tu fais quelque chose de pas correct, ils te le refusent. C’est tout! Puis ils disent pas pourquoi. – Patricia, conjointe.
Le silence de l’institution s’avère encore plus pesant quand il concerne directement la situation de la personne détenue. Les proches se plaignent de ne pas être informés des transferts d’établissement, des blessures et séjours à l’hôpital, des lockdowns, des changements des heures de visites, etc.
Personne ne nous a appelés pour nous dire que notre fils avait été blessé. Personne ne nous a appelés. Et chaque fois qu’il était déplacé, personne ne nous appelait pour nous dire qu’il était déplacé. – Diane, mère.
Les proches doivent non seulement faire face à un manque d’information, mais le peu d’informations auxquelles ils ont accès est incohérent.
Donc, et maintenant la, la rigidité du système, vous savez, et le – Il serait – Les officiers qui le gardaient, vous savez, dépendaient de qui ils étaient, ils appliquaient la durée des vingt minutes. Donc, le dernier jour, c’était très rigide et on nous a dit de, vous savez, partir et c’est tout. Et, nous ne savions pas que c’était le dernier jour. Nous l’avons appris plus tard, lorsque nous sommes revenus le voir pour la deuxième fois, ils nous ont dit qu’il avait été libéré des soins intensifs et qu’il se trouvait maintenant dans une salle de réveil. Nous avons donc essayé d’y aller et ils ont dit : « Non, c’est – Le protocole est de retour aussi, parce qu’il n’est plus en soins intensifs. Il – Mais, ils nous ont accordé vingt minutes – Mais, à ce moment-là, il n’avait pas pu – Il n’avait pas été obligé de se lever et de marcher parce que vous savez, si vous avez été inconscient pendant dix jours ou presque, et que vous devez être suffisamment rétabli pour pouvoir – Alors, ils n’ont pas cessé de dire qu’il serait bientôt renvoyé à la prison. Et, c’est juste que je ne pouvais pas comprendre qu’il serait si rigide. Donc, à ce moment-là, il avait été emmené le 15 juillet, je crois, et maintenant c’était le 26 juillet. Alors, ils y sont retournés. Ils ont dit : « Vous ne pouvez pas lui rendre visite ou juste une fois par jour, vous pouvez lui rendre visite », mais cela n’a pas dû se produire parce que le 27, ils l’ont ramené à Bath. Je suis allé lui rendre visite et ils m’ont dit : « Il a été ramené à Max ». – Felicity, mère.
B. Les autorisations et interdictions institutionnelles
Si divers moyens d’entrer en contact avec une personne incarcérée sont mis en place par les prisons provinciales et les pénitenciers fédéraux, il est généralement de la responsabilité de la personne incarcérée de s’informer et d’informer ses proches à l’extérieur. Il convient de noter que la reconnaissance du statut de “proche autorisé” fait également l’objet de procédures, réglementations et restrictions de la part de l’institution pour décider qui peut être appelé, donner de l’argent ou apporter des vêtements.
Pour le courrier, des censures sont mises en place sur le contenu et le contenant de l’envoi et les proches le découvrent petit à petit lorsque leurs courriers leur sont retournés après avoir été ouverts et lus par l’administration carcérale. Selon les institutions sont permis certains types de papier et enveloppes, certains dessins en fonction des crayons utilisés. Sont interdits les articles de journaux ou les cartes de Noël avec reliefs ou paillettes. Sont limités le nombre de photo que l’on peut envoyer et seul le format institutionnel est accepté.
Mon fils aime les caricatures politiques. Il y en a eu un grand sur Donald Trump dernièrement […] Alors, je l’ai découpé et je l’ai envoyé à R*. Bien sûr, je l’ai récupérée parce qu’on n’a pas le droit d’envoyer quoi que ce soit du journal et ils n’ont pas le droit d’envoyer des journaux. […] les cartes que vous coloriez vous-même, puis vous coloriez l’enveloppe, vous la pliez et vous écrivez ce que vous voulez sur la carte, vous la mettez dans l’enveloppe et vous la scellez avec un autocollant. Un autocollant qui n’a pas de paillettes et dont le dos est identique à celui du timbre. Vous avez le droit de mettre un timbre sur une enveloppe.. […] Alors, j’ai récupéré tout ça, je l’ai coloré moi-même. J’ai fait des heures de travail […] vous ne pouvez pas envoyer un timbre. Quand R* a déménagé, vous savez, ça prend du temps pour se connecter avec la cantine et vous devez passer votre commande et l’argent doit être transféré. Donc, vous vous retrouvez avec un délai de quatre à six semaines où vous n’entendez rien de la personne parce qu’elle n’a pas de timbre. (rires) Vous savez ? Ce genre de choses me rend fou. Eh bien, j’ai écrit une lettre avec une enveloppe préadressée à moi et timbrée. Donc, je ne lui ai pas envoyé de timbre. […] Bien sûr, j’ai tout récupéré. Donc, non seulement il n’a pas reçu ma lettre, mais il ne l’a pas reçue […] parce que c’est de la « contrebande ». La « contrebande » me rend folle. Et la plus récente, sur ma lettre, j’ai mis mon autocollant d’adresse que j’ai mis pendant six ans. Tout à coup, on interdit de mettre ma vignette d’adresse. Ce qui ne me pose aucun problème. Je peux l’écrire sur mon truc. Mais je l’ai utilisée (…) pendant six ans et personne ne s’en est soucié. – Diane, mère.
Indépendamment des délais requis pour communiquer par courrier, ce moyen de contact n’est pas jugé très fiable et très intime en raison de son ouverture par le personnel.
En fait, poster une lettre n’est pas fiable, selon l’attitude du détenu, ils pourraient refuser – C’est illégal, mais ils le font. Ils peuvent retenir le courrier personnel. Et c’est ce qu’ils ont fait. […] Je ne sais pas où cette lettre est passée. Non, il y a des lettres qui se « perdent » tout le temps. – Mona, soeur.
Les dons en nature (envoyés ou déposés) sont importants, voire nécessaires, afin que la personne incarcérée ait accès à ses propres vêtements (permis dans certaines prisons et les pénitenciers fédéraux). Ils sont strictement réglementés et les proches ne sont pas toujours au courant des restrictions existantes. Les proches qui répondent à certains critères institutionnels quant à leur relation avec la personne détenue peuvent apporter des vêtements ou des effets personnels seulement à certains moments précis (dans les 30 jours suivants les transferts, avant les audiences au tribunal). Ils peuvent parfois être autorisés à acheter pour la personne incarcérée certains produits spécifiquement listés et/ou dont les fournisseurs ont été approuvés.
[…] Là j’apportais une montre à mon garçon, mais ce n’est pas marqué dans la feuille que ça prend des montres seulement digitales ou à aiguilles, peu importe. C’est pas marqué, il n’y a rien de marqué. Pis moi j’arrive avec une montre à aiguille. […] Parce que ce n’est pas clair. Fac là, j’arrive, je sais qu’il y en a qui en ont avec des aiguilles au provincial. J’arrive, pis là le monsieur, il dit, « bon, ben à partir d’aujourd’hui, ça prend une montre digitale. » – Normand, père.
Les proches ne sont pas autorisés à acheter et faire livrer des achats, mais doivent envoyer à la personne détenue l’argent nécessaire pour acheter directement les produits disponibles sur la liste limitée de la cantine dont les prix sont majorés.
Mon fils a lu “The Economist” à cette époque pendant environ quatorze ans. Vous savez, depuis son adolescence. […] J’ai dit : « Je veux lui envoyer son abonnement à The Economist. Je vais juste le rediriger vers vous. » « Oh, non, non, non. On a la cantine et il peut y obtenir le magazine qu’il veut. » J’ai dit : « C’est super. Donc, vous avez The Economist à la cantine. Fabuleux. » Et ils m’ont répondu : « Non, non, nous n’avons pas ça. » […] C’est comme ça pour chaque chose. – Diane, mère.
Et le truc de la nourriture, aussi, mon fils a mis de l’argent pour la cantine et, vous savez […] la cantine, les choses sont si chères. Très cher. Et au début, je me suis dit, pourquoi la prison en profite ? Je me fiche que ce soit pour acheter de nouveaux livres à lire aux détenus ou autre chose… Est-ce qu’il y a une société qui fait payer 5$ pour un tube de dentifrice ? C’est ridicule. Personne ne fait payer ça dans les autres magasins où nous faisons nos courses, qui font encore beaucoup d’argent. Alors, pourquoi est-ce que c’est normal de leur faire payer plus cher et le stress des familles et les dépenses pour essayer de leur fournir quelque chose, pour moi c’est juste, c’est juste une autre insulte et profiter de gens qui n’ont pas d’autres choix. Je ne sais pas. – Gina, mère.
Pour effectuer des dons en argent, qui permettent à la personne détenue de faire des achats nécessaires (carte d’appel, compléments de repas, nécessaires de toilette…), les proches doivent respecter une procédure restrictive d’autorisation suite à une ouverture de compte de la personne incarcérée. Cette procédure peut prendre de 4 à 6 semaines durant lesquelles la personne incarcérée ne pourra donc pas faire d’achats et sera donc dépendante de dons de l’institution et des codétenus. Si l’argent envoyé peut être transféré entre les divers pénitenciers fédéraux, ce n’est pas le cas au provincial, car chaque établissement a son propre système. Les proches doivent donc refaire les procédures pour que la personne détenue ait accès à de l’argent.
Pour les appels téléphoniques, leur durée et fréquence font l’objet de réglementation formelle et informelle. Dans certains établissements, les téléphones sont limités en nombre et en accès et font parfois l’objet d’écoute par l’institution. Aux restrictions matérielles et institutionnelles s’ajoutent parfois des enjeux de pouvoir de certaines personnes détenues qui monopolisent et contrôlent l’accès au téléphone de leur unité ou rangée. Puisque les proches ne peuvent pas appeler la détention, seuls les détenus qui ont les moyens d’acheter des cartes téléphoniques vont pouvoir appeler leurs proches.
Vous devez payer pour les appels téléphoniques qu’il passe. Il existe des processus et des protocoles en place dans les prisons. Ils ne peuvent que téléphoner et ils doivent, en soumettant un formulaire en temps utile, demander un certain montant à mettre sur leur carte d’appel qu’ils utilisent ensuite pour appeler. Et votre numéro de téléphone doit être approuvé, préapprouvé pour qu’ils puissent appeler. – Felicity, mère.
Le plus souvent, ce sont les proches qui doivent accepter des appels à frais virés à des prix exorbitants. Pour être autorisés à recevoir ces appels, les proches doivent être en mesure de fournir et faire approuver un numéro de ligne fixe, et non pas de cellulaire.
Nous n’avons pas de ligne fixe, donc le téléphone est un problème. Il ne peut pas, il ne pouvait pas me téléphoner de [la prison] du tout […] Après qu’il ait déménagé dans [une autre prison] […] Donc, la fois suivante, je me souviens de lui avoir parlé chez ma soeur. Nous avons dû convenir d’un moment pour qu’il m’appelle et que je sois là. C’était tout… C’est compliqué, vous savez ? Ça l’était vraiment. Jusqu’à ce qu’il puisse avoir une carte de téléphone. Puis, il a eu sa carte de téléphone et puis c’était, comme, trente jours à partir de là qu’il pouvait m’appeler. C’était pour toujours, pour toujours et pour toujours. Mais finalement, il a pu m’appeler. Mais ça nous coûtait 100 dollars par mois et ce n’est pas comme si on se parlait pendant des heures. Je veux dire, il, il me disait que les détenus qui étaient là, qui étaient – Ça ne voulait pas décrocher. Ils avaient des règles, mais ils ne les respectaient pas, vous voyez ? – Dem, conjoint.
Cette restriction aux numéros fixes impose aux proches des frais supplémentaires et surtout de rester à domicile pour ne pas manquer l’appel attendu.
Au début, il m’appelait régulièrement, tous les jours. Pis ça c’est une autre affaire, le premier mois avant que je sache que les appels à frais virés, c’est une fortune […]. La facture était en haut de 1000$ […] mais les autres mois après, c’était… je parlais moins, mais il fallait que je coupe la conversation. Je lui disais « garde, c’est pas parce que je ne veux pas te parler, mais là il disait c’est ça je t’ai fatiguée». Il disait : «je vais arrêter de te fatiguer». «Tu ne me fatigues pas, c’est parce que ça coûte une fortune là.». […] Pis là quand il m’appelait à frais virés, il faut que j’ai un téléphone de maison. Je me disais ouin, mais quand je ne suis pas à la maison? […] Le premier mois ça été 1600$, mais c’est ça, on s’était parlé tous les jours une heure et après ça, c’était 500$, 500$, après ça 400$… – Georgette, mère.
La première fois que je l’ai connu au début, quand je l’ai connu, on s’est parlé, pis… Tu vas jamais dire à un gars qui fait une sentence-vie, qui n’a pas de famille, appelle quand tu t’ennuies. Premier mois, ça m’a coûté 1200$ de téléphone, parce que moi je ne sais pas combien ça coûte un appel à frais virés. – Mary, conjointe.
S’ils souhaitent visiter leur proche en détention, ils devront se soumettre au contrôle de l’autorité carcérale qui devra enquêter et les approuver comme visiteurs acceptables à l’issue d’un processus parfois très long (3 à 4 semaines en procédure accélérée et jusqu’à 6-8 semaines) et qui se répète en cas de transfert au fédéral.
Quand il est parti d’X pour aller au fédéral, j’ai été… ah mon dieu, je pense (pleurs)… trois à quatre semaines sans nouvelles, sans appels téléphoniques. Puis, il y avait un document à remplir puis avant que ça soit approuvé, tout ça, ça a pris au moins 6 à 8, 8 semaines à peu près avant que j’aie le droit d’aller le visiter. – Joyce, mère.
Je n’ai pas eu de contact direct avec lui, vraiment, avant 6 semaines. Quelque chose comme ça. C’est ce dont je me souviens. Je suis allée le voir une ou deux fois à X pendant qu’il était là-bas et ensuite je n’ai pas pu aller le voir quand il était à V – Eh bien, c’était toute la paperasse à remplir et tout ça et j’ai essayé de faire avancer les choses à l’avance, et ils ne l’ont pas permis. C’est comme si je disais : « Oh, non, vous devez attendre qu’il soit là ». « Eh bien, je sais où il va. Pourquoi je ne peux pas juste commencer ce processus pour que ça ne prenne pas autant de temps ? » – Dem, conjointe.
C. Le déroulement des visites
Si la procédure et le déroulement des visites diffèrent d’un établissement à l’autre, ils représentent à chaque fois un ensemble de défis et de contraintes pour les proches qui souhaitent visiter l’être cher en détention. Motivés par l’importance de maintenir le lien, les proches affrontent plusieurs obstacles qu’ils soient géographiques, personnels ou encore administratifs et institutionnels.
Dans un premier temps, plusieurs participants de la recherche ont mentionné la distance de l’établissement et le fait de devoir faire plusieurs heures de route pour se rendre à l’institution où se trouve leur proche.
Mais ils organisaient une visite. Pour que nous allions le voir [l’institution] et nous n’étions pas, vous savez, les plus riches non plus, n’est-ce pas ? […] Hum, donc une fois par mois, essentiellement, je faisais ce long voyage pour lui rendre visite. […] Donc, c’était, genre, huit heures. – Nathan, fils.
Pour ceux pouvant se permettre une visite éloignée, le besoin de trouver une place où résider le temps du séjour dans la ville où se situe la prison nécessite planification et dépenses additionnelles. Dans certains cas, les visites sont rendues tout simplement impossibles en raison de la trop grande distance entre le lieu de résidence et l’établissement de détention, ce qui devient un facteur dissuasif ou incapacitant ayant un impact direct sur la fréquence des visites.
Outre la distance parfois longue, la réglementation relative aux visites et leur déroulement peut également se révéler être difficile à gérer pour les proches. Les procédures diffèrent selon le palier d’incarcération (provincial ou fédéral), selon chaque institution, mais aussi selon l’étape du processus de judiciarisation en cours (prévenu ou sentencié). Ainsi, les proches doivent apprendre à connaître et à se conformer au système de réservation des plages de visites (s’il y en a un), aux jours et horaires établis, au protocole d’entrée dans l’institution, aux moyens de fouilles et de contrôles mis en place, ainsi qu’au type de visites permises (avec ou sans séparation physique avec la personne détenue).
De plus, les horaires de visites au sein d’une même institution peuvent varier en fonction du secteur dans lequel la personne se trouve placée au cours de son incarcération. L’établissement de détention n’avertit pas les proches à l’avance lorsque la personne détenue est transférée dans une autre aile de la prison, dans un autre établissement, ou encore lorsqu’une situation de confinement aux cellules empêche toute visite au sein de l’institution.
Et mon fils, quand il est arrivé, il est passé de la sécurité maximale à la population générale, puis à la détention préventive à la sécurité maximale et je ne connaissais pas chaque série – Comment pourrais-je savoir tout cela ? Je ne savais pas que chaque section a ses propres jours et heures de visite. […] « Désolé, ce n’est plus une heure de visite. Pas de visite. » Eh bien, comment sommes-nous censés savoir qu’il y a un temps de visite différent s’il déménage. La visite a été réservée, alors pourquoi quelqu’un ne nous contacte-t-il pas ? Et puis ils ont dit : « Eh bien, nous n’avons pas vos coordonnées. » Je suis sûr que vous les avez. […] J’ai dit : « Je veux m’assurer que vous avez mes coordonnées pour que cela ne se reproduise pas. » Et ils ont dit : « Oh, votre numéro de téléphone, c’est du bla-bla-bla-bla ? » « Oui, c’est ça. » – Gina, mère.
De manière plus spécifique, lorsqu’il y a un système de réservation pour les visites, les proches interrogés indiquent parfois vivre ou avoir vécu de grandes frustrations, puisque lorsqu’ils tentent d’appeler à l’établissement pour réserver une place, ils sont mis en attente très longtemps et doivent recommencer chaque fois que la ligne coupe. Certains appellent en vain pour réserver une place, puisque lorsqu’ils finissent par parler à quelqu’un, on les informe que les plages de visites sont pleines et qu’ils devront rappeler la semaine suivante pour tenter d’obtenir une place.
Tu dois réserver d’avance, une semaine d’avance… Non, 24 heures d’avance minimum puis maximum une semaine d’avance…Puis, pour appeler, ça, c’est tout un processus, là … Je sais pas si c’est pareil partout, mais ils te mettent pas en attente. Euh, ça raccroche si c’est occupé. Hier, j’ai appelé, j’ai appelé 268 fois avant d’avoir la ligne…je l’ai sur mon téléphone, là, genre, le nombre de fois que tu appelles, là, parce que ça raccroche. Puis il faut que tu appelles plusieurs fois comme ça, là, jusqu’à tant que ça réponde. Ça fait que quelqu’un qui travaille peut pas appeler pour voir son conjoint ou son fils, là, c’est impossible, là … Puis, là, c’est quelqu’un qui te répond, qui te met en attente. Puis, là, tu as, es en attente, mais sans musique. Ça fait que tu sais pas si c’est encore, t’sais, en ligne. Hier, j’ai attendu, genre, 25 minutes, là. Bien, ça, c’est le plus long que j’ai eu à attendre, là. Puis, là, souvent, c’est pour te faire dire que… il n’y a plus de place parce que lui est dans les trucs de travail. Ça fait qu’ils ont deux soirs par semaine. – Patricia, conjointe.
Puis après y’a eu les réservations de visites où qu’on devait appeler… y’avait 2 jours où on pouvait appeler entre telle heure et telle heure. Souvent, la ligne était occupée, des fois quand la ligne était pas occupée, on se faisait dire que c’était complet. – Maude, conjointe.
Il semble que les systèmes de réservations par courriel soient encore très rares. À l’opposé, lorsqu’un système de réservation des visites n’existe pas, dans certains cas, c’est premier arrivé, premier servi, ce qui suscite beaucoup d’incertitude sur la possibilité de voir l’être cher incarcéré. De plus, l’institution limite le nombre de visites hebdomadaires permises ainsi que le nombre de personnes qui peuvent y assister.
Même lorsque les proches ont confirmé avec l’institution le moment de leur prochaine visite, celle-ci est parfois écourtée ou annulée, car l’annonce de celle-ci n’a pas été faite à la personne détenue ou parce que les proches n’ont pas été informés d’une situation de confinement cellulaire au centre de détention. De plus, diverses circonstances viennent affecter le temps de contact; si l’entrée dans l’établissement est plus longue en raison des nombreux contrôles de sécurité ou si les agents sont en nombre insuffisant, le temps perdu n’est pas récupéré et la visite est abrégée, et ce, même si le proche a dû parcourir une longue distance et/ou réorganiser son emploi du temps pour pouvoir être présent.
N: Faique on arrive là, ça c’est ma première fois que j’allais là à F*Fédéral. J’arrive là, je me dis en même temps, je vais voir mon gars. Elle, elle n’était plus capable, elle n’avait pas la bonne clé pour ouvrir le locker pour mettre le stock. Ça prit 40 minutes. Il a fallu qu’il fasse venir quelqu’un pis en tous cas. Pendant ce temps-là, moi je ne pouvais pas rentrer. C: Faique, le temps de visite diminue aussi. – Normand & Claudette, parents.
Les pires, c’est les, les vieux qui y vont puis qui ont 10 000 bijoux, 10 000 montres, 10 000 changes dans leurs poches puis qui comprennent pas qu’il faut que tu les enlèves, là. Ça fait que, t’sais, ça, ça prend comme 15 minutes. Mais, ça, c’est 15 minutes qu’ils enlèvent à ta visite, là. – Patricia, conjointe.
Lors de chacune des visites, les proches doivent se plier à diverses mesures de contrôle jugées nécessaires par l’établissement pour des raisons dites sécuritaires. Ainsi, les proches doivent subir des fouilles, doivent remplir diverses paperasses, doivent passer au travers de détecteurs de métaux et, dans le cas des pénitenciers fédéraux, être testés au scanneur à ions visant à détecter les drogues. Dans certains établissements, l’utilisation de chiens renifleurs de substances illicites est chose courante.
Les petites ont un peu peur des chiens pis t’sais, ce n’est pas des, ce n’est pas des petits chiens là, ce n’est pas des petits caniches. C’est des…C’est genre labrador, berger allemand là, massifs là […] On a un petit rond pis on se met dessus. Mettons, moi je suis là pis l’autre est là. Il y a une distance entre les deux pour que le chien puisse passer. Ils tournent autour de nous autres avec le chien. Pis, on leur avait dit, si vous avez peur, vous pouvez fermer les yeux, mais le chien, il est gentil. Pis c’est ça qu’il a fait. Par exemple, les personnes, le monsieur, le maître-chien, il a affaire à des enfants, fac il fait attention. Il fait attention. Pis, il parlait aux filles, il leur disait, il n’est pas dangereux, il va juste vous sentir. C’est quand même cela pareil. C’est quand même cela pareil. – Claudette, mère.
Le chien pour une fête communautaire s’est assis devant mon fils, mais jamais devant moi. J’ai dû choisir entre mon fils et mon conjoint. Voyant que [mon conjoint] paniquait un peu j’ai comme appelé mes parents pour qu’ils viennent chercher mon fils pis j’ai fait la fouille à nu. – Maude, conjointe.
Plusieurs participants ont dû signer un formulaire de consentement à subir éventuellement une fouille à nu au risque de se voir refuser l’accès à la visite. Deux personnes rencontrées ont dû s’y soumettre afin de ne pas perdre leur droit de visite. Qui plus est, certains établissements font visionner aux visiteurs une vidéo sur les drogues et les conséquences entraînées par la découverte de celles-ci dans leurs effets personnels à l’intérieur des murs. Cet ensemble de mesures est très difficile à vivre pour les proches, voire même épeurant pour certains.
D’autre part, les participants indiquent leur frustration face au manque de consistance et de cohérence lors de leurs différentes visites quant aux objets qu’ils peuvent ou non amener en détention. À titre d’exemple, les mères qui amènent leurs enfants se voient autoriser d’apporter un goûter ou un biberon, alors que la semaine suivante, elles se font refuser et réprimander pour avoir tenté de faire entrer de telles choses en détention.
[U]ne fois, genre, j’avais apporté des photos, mais j’en avais comme trop. Puis, t’sais, moi, c’était comme pour montrer mes amis, mes choses… mes gens, parce que, en plus, on venait de déménager dans une nouvelle ville. Ça fait que, t’sais, je lui montrais ma maison, mes affaires, t’sais, à mon père. Puis, euh, le moment où elle m’a dit, genre, comme: «Ah, bien, là, t’sais, il y en a trop, na-na-na», là, elle a vu dans ma face l’espèce de genre… Là, je me suis mis à être, euh, comme à être émotive, là. Puis, là, je voulais comme pas, genre, pleurer ou rien parce que j’étais là: «Eh, on s’en fout, c’est juste des photos, rapport.» C’est pas grave. Mais c’était donc bien important pour moi, genre, parce que c’était comme ma vie que j’amenais, genre, à mon père. – Olivia, fille.
[…] Je me faisais fouiller, mais y’avait une grande blonde qui rentrait avec un café Tim Hortons en salle de visite pis qui apportait ça à son mari avec plein de choses. C’était pas grave. Mais la femme juste à côté de moi qui était là avec son bébé naissant a dû laisser les biberons au contrôle… Mais elle, la grande blonde, elle avait le droit de… (rires). J’ai vu ce genre de formes d’injustices là […]. – Maude, conjointe.
Ion Scanneur, une épreuve additionnelle pour les proches
En 2004, le scanneur à ions (Spectromètre à mobilité ionique) a été installé dans l’ensemble des établissements fédéraux dans la foulée de la « Guerre contre les drogues » implantée à travers diverses politiques gouvernementales. Visant à faire une fouille discrète des détenus, des employés et des visiteurs pour de détecter si les personnes entrant dans les établissements de détention fédéraux avec des substances illicites; cet outil permet à un agent correctionnel de faire un prélèvement sur un objet appartenant au visiteur (portefeuille, clés, vêtement, foulard, etc.). Si une personne obtient un résultat positif au test du scanneur à ions, un second test doit être effectué sur un objet différent du premier. Ce second test est ainsi suivi d’une entrevue avec un gestionnaire ou un superviseur durant laquelle le visiteur est invité à expliquer les traces trouvées sur lui. Les entretiens réalisés dans le cadre de cette recherche et d’autres (Hannem, 2011; MacKenzie, 2019) indiquent que les raisons d’un test positif sont généralement inconnues des proches de personnes incarcérées. Suite à cette entrevue, le superviseur ou le gestionnaire doit faire une évaluation de la menace et des risques, qui sur la base de l’entrevue et deux tests, déterminera si la personne pourra avoir une visite avec contacts, une visite sans contact, ou se verra refuser la visite.1
Les proches rencontrés ont indiqué, lorsqu’ils ont eu à faire face au scanneur à ions, qu’ils ont vécu beaucoup de stress et d’angoisses à l’idée d’un test positif qui entraînerait un refus de visite et une inscription au dossier de la personne incarcérée.
Ils vous donnent l’impression qu’on ne peut pas vous faire confiance. J’ai 58 ans. Je n’ai jamais enfreint la loi de ma vie, mais chaque fois que j’y vais, je passe devant ce scanneur ION et je suis terrifiée, terrifiée […] si vous passez par le scanneur ION et que vous êtes testé positif, alors ils changent votre visite à cause de cela. Cela figure dans le dossier de Jacob et aura un impact sur sa libération conditionnelle et sa possibilité de bénéficier d’une libération anticipée. – Ines, mère.
Comme nous l’expliquerons plus loin dans la section consacrée aux stratégies développées, certains proches mettent en place une routine spécifique avant leurs visites en établissements pour éviter toute forme de contamination avec une substance illicite.
1 Directive du Commissaire no: 566-8
Pour ce qui est du code vestimentaire, certains participants ont failli se faire refuser l’accès aux visites, alors que d’autres ont dû faire marche arrière et aller se procurer un habillement jugé « convenable » aux yeux du personnel carcéral. Cette soumission à ce contrôle est acceptée de peur de perdre le droit d’accès à la personne chère qui se trouve de l’autre côté des murs.
Une fois, je n’avais pas un chandail qu’il fallait. Une fois, j’avais une camisole avec une veste, je la trouvais belle. Je me trouvais propre, bien ça n’a pas passé. – Maryse, mère.
Indépendamment des procédures sécuritaires à l’admission, les proches de personnes détenues signalent que l’infrastructure du centre de détention est un aspect intimidant, mais auquel certains semblent s’habituer. Certaines des personnes interviewées décrivent avec détails les lieux qui leur sont « permis » de voir dans le cadre des visites.
Moi, d’ailleurs quand je suis arrivée à [la prison] la première fois pour visiter mon fils, quand j’ai vu la bâtisse parce qu’on ne se promène pas là tous les jours hein. Je n’avais vu un milieu carcéral, jamais de ma vie. […] Moi, j’étais très impressionnée. Ça c’est vraiment très personnel. Moi, la grande porte de [la prison], m’a fait penser et retourner très loin dans mon passé et le mur de Berlin. Donc, j’ai été comme traumatisée, j’ai eu cette image et encore des fois ça arrive. J’ai fait beaucoup de cauchemars après avoir été à [la prison]. […] moi je me suis sentie comme prisonnière. […] je tremblais, j’avais froid. Finalement, on entre à la salle d’attente, il n’y a pas assez de chaises pour tout le monde pour s’asseoir non plus. Pis là, on attend que quelqu’un vienne nous chercher ou nous appelle. À la télévision, il y a quelque chose d’écrit. Fac là, on se déplace tout le monde. Avant, on a comme un cordon là, identifié que le bureau des visiteurs nous remet puis donc on est comme des moutons, tu suis la personne, tu ne sais pas où tu t’en vas. Il n’y a rien, aucune information, on avance. Il faut avancer, on avance. Là, il y a une autre porte, un autre endroit, un autre contrôle. Montre ton identification, on passe, on traverse le jardin là, la cour. Là aussi, il y a encore une autre porte, un autre contrôle pis là tu entres dans une espèce de corridor pis là, il y a le dernier contrôle avant d’aller au parloir. Donc ça fait bien des contrôles et tu laisses ton sac à l’accueil là, barré. – Rosalyne, mère.
Je me souviens d’être allé à l’institution X sur cette immense propriété et il y avait, juste, cette longue route qui y mène et, euh, vous savez, il y a, il y a quelque chose de gothique à conduire sur cette propriété qui m’a marqué. Et, euh, quand nous sommes arrivés là, vous savez, vous passez par ces portes et vous obtenez, vous savez, traité à l’avant et comme c’est très, euh, stérile et très orienté vers la sécurité, et, euh, très […] euh, quels sont les mots pour le décrire ? Hum, il n’y a pas de sentiment, n’est-ce pas ? Vous êtes juste, comme, une pièce de machine qui passe par ce système. Vous savez, pour un enfant, c’est un endroit très effrayant, n’est-ce pas ? Donc, j’ai été accepté. Nous avons réussi à passer le contrôle de sécurité et à l’époque, la façon dont les visites fonctionnaient, quand vous étiez en évaluation, c’est qu’il n’y avait pas de visite libre. Donc, la visite que j’ai pu faire avec mon père pour la première fois était derrière Plexiglass. Et il y avait un téléphone […] Je ne sais pas ce que je pensais du système, mais je sais, vous savez, si je pense à ce que j’ai ressenti, en regardant en arrière, vous savez, euh, je, je détestais ça. Je détestais vraiment ce symbole d’autorité qui m’avait enlevé mon père. – Nathan, fils.
Une fois que les visiteurs sont passés au travers des différents contrôles sécuritaires et administratifs de l’institution, ils peuvent enfin avoir accès à la salle de visite, ou aux parloirs, dépendamment s’ils sont dans une prison ou un pénitencier. Lorsqu’ils visitent au provincial ou lors de la période d’évaluation en début de sentence, les contacts physiques entre les visiteurs et les personnes incarcérées sont formellement interdits. Les visites se déroulent donc dans des parloirs ou visites-guichets dans lesquels personne incarcérée et visiteur sont séparés par une vitre et peuvent uniquement communiquer par le biais d’un combiné téléphonique. Les participants de la recherche ayant eu à expérimenter ce type de visite dénoncent des combinés défectueux, des lieux inappropriés pour y amener un enfant, ainsi que le bruit ambiant et le manque d’intimité en raison de la proximité des parloirs.
Parce que ça aussi les visites, il n’a pas le droit lui d’avoir de visite contact, dans un certain département. Il faut, il y a une vitre, on est obligé d’avoir une vitre entre nous, c’est épouvantable. Et là, tu cries, tu entends les autres qui crient à côté. C’était fou cela et c’est des habitués. Souvent, ils choisissent le meilleur spot. Ça, je haïs ça, les pas contacts, c’est épouvantable. Et là, tu peux le prendre dans tes bras juste à la fin. – Maryse, mère.
Ce que vous voulez vraiment, c’est embrasser votre proche, n’est-ce pas ? Vous voulez vraiment l’étreindre et non, c’est par téléphone et avec du verre entre vous. Alors, c’est très, très dur. Très dur. C’est très inhumain. Je, je n’ai rien de bon à dire à ce sujet, en fait. – Erika, mère.
Quand on va la voir, elle est contente. Elle tape dans la vitre puis elle colle sa joue puis elle le flatte puis elle… t’sais. Ça, c’est dur, là. L’autre fois, elle essayait de faire un câlin à travers la vitre, t’sais. C’était comme… ça, c’était rough, là. – Patricia, conjointe.
Fac que, à travers d’une vitre, c’est ça, à X j’y ai été quelques fois, mais c’est toujours au travers d’une vitre. Ça c’est quelque chose là, les premières fois, tu entres dans les émotions. Ils sont comme dans un petit bocal, je dirais là… – Georgette, mère.
Il faut, il y a une vitre, on est obligé d’avoir une vitre entre nous, c’est épouvantable. Et là, tu cries, tu entends les autres qui crient à côté. C’était fou cela et c’est des habitués. Souvent, ils choisissent le meilleur spot. Ça, je haïs ça, les pas contacts, c’est épouvantable. Et là, tu peux le prendre dans tes bras juste à la fin. Il y a tous pleins de détails à respecter que je ne connaissais pas, mais un coup que tu les connais… Tu apprécies ta visite. – Maryse, mère.
Pour ce qui est des visites avec contacts autorisés, les participants indiquent de manière générale apprécier ces moments où ils peuvent enfin toucher leur proche et établir une certaine proximité avec lui, même si force est de constater que les contacts plus intimes, tels que les baisers ou encore chuchoter dans l’oreille, demeurent interdits.
Et moi à la fin je profitais même plus de mes visites. J’étais toujours sur le qui-vive en train de regarder ce qui se passait parce que j’avais tout le temps peur qu’il arrive quelque chose. Dès qu’on se touchait les mains, dès qu’on était trop proches pour parler, si on se parlait à l’oreille ou quoi que ce soit t’entendais « sécurité contrôle ». – Maude, conjointe.
Bien que la froideur et la stérilité des lieux physiques soient mentionnées par les participants, les pièces dans lesquelles se tiennent les visites avec contacts au fédéral sont mieux aménagées et plus propices à accueillir des enfants, puisqu’un espace de jeux y est aménagé. Cependant, que les visites soient au provincial ou au fédéral, certains proches ont indiqué s’empêcher de parler librement, car ils se savent écoutés, que ce soit par les gardiens à proximité, les gens dans les parloirs à côté, ou encore par un micro dont on soupçonne l’existence à la table qui leur a été attribuée.
En ce qui concerne les visites familiales privées (VFP) – communément connues sous l’appellation « les roulottes » -, les participants y ayant eu droit soulignent la rareté de celles-ci, qui dépend en effet du comportement de la personne détenue, de la fréquence permise et de la disponibilité des roulottes. Ces délais varient de quelques semaines à plusieurs mois, ce qui dépend de l’institution.
Les roulottes, c’est quand même agréable. (Rires.) Mais, euh, ça revient pas toujours vite. Comme à [tel pénitencier], il y avait beaucoup de demandes puis il y a juste trois unités. Donc, si c’est une fin de semaine puis, là, le tour revient pas vite, là… dans les règlements ou je sais pas quoi, là, c’est marqué à peu près aux 6 semaines, mais, euh, t’sais, c’est souvent… ça faisait souvent 2 mois d’attente puis, euh… ça dépend aussi de chaque sécurité, de chaque niveau de sécurité. – Ariane, conjointe.
Quant au déroulement de ces visites, les personnes interrogées ont des opinions mitigées. Certaines les trouvent agréables, car elles permettent de passer du temps de qualité avec le proche détenu.
Tsé, c’est pas juste l’enfer, j’ai ben du plaisir là, des fois avec mon mari, des fins de semaine, je ne suis pas capable de monter les escaliers là-bas tellement je ris. Pis on a eu des moments comme je te disais à la première VFP, où ce qu’on est là (respire) qu’est-ce qu’on fait. Puis, il y a d’autres VFP je suis sortie de là pis je braillais parce que je ne voulais pas m’en aller, parce que je trouvais cela dur de m’en aller, puis je ne veux pas le laisser là, pis je veux l’amener chez nous. Pis il y a d’autres fois, tu peux-tu me mettre une petite chaise sur le bord de la porte, j’ai hâte de m’en aller. Pas que j’ai hâte de m’en aller, mais j’ai juste hâte de crisser mon camp d’icitte parce que je veux revenir à la civilisation. – Mary, conjointe.
Les proches demeurent souvent ambivalents par rapport à ces visites en raison des contraintes qui les accompagnent. En demeurant pour quelques jours dans l’institution de détention, les proches de détenus doivent se plier aux conditions de détention et aux enjeux d’ordre sécuritaire au même titre que s’ils étaient eux-mêmes détenus.
À la fin, à [un pénitencier], là, j’arrivais avec mes sacs, une petite liste quasiment faite sur le coin de la table. Et ils regardaient… ça dépendait c’était qui qui me rentrait à la fin de semaine, mais, des fois, ils regardaient à peine ce que j’avais puis: «C’est beau.» Parce qu’ils viennent aussi qu’ils connaissent les gars, si c’est des tout croches ou des pas tout croches ou… Puis, t’sais, la famille, ça vient avec aussi. On se voit quand même régulièrement. Mais, au début, à X, je rentrais mes choses, mais mon sac de sport que je mettais mes affaires dedans….. Tout était listé. Évidemment, j’ai trois paires de bobettes, j’ai deux paires de bas, j’ai un crayon à maquillage, j’ai des couches pour la petite… c’est mon chum qu’il fallait qu’il achète les couches sur la liste d’épicerie. Je pouvais pas en acheter, en apporter. Puis, euh, c’est ça. Ça fait que je sortais mon stock un par un. Ça, c’est ça. Ça, c’est… Il cochait sur sa liste. Puis, le sac, mon sac, il restait dans le casier. Ils rentraient même pas les, les sacs, là, ou les valises ou peu importe, là. Puis, euh, ça fait que c’est ça. Ça aussi, ça, encore là, ça dépend du niveau de sécurité… – Ariane, conjointe.
Quand je vais aux visites, quand je vais aux visites conjugales…Moi, je prends beaucoup de pilules…4 fois par jour. Mais quand je vais dans le pénitencier, j’en prends souvent juste le matin pis je laisse faire une partie de mes pilules, parce que sinon, faut que je parte, faut que je m’habille, faut que je marche aux pilules, là, ils sont là, sont accotés, ils attendent que je finisse de prendre mes pilules. Si je suis chanceuse, il ne me fouille pas dans la bouche t’sais, pour savoir, pour être sûr que je les ai avalées. Pis là, je les mets dans la petite case et je reviens. Malgré que j’en ai des narcotiques, mais je les rentre jamais en dedans, des médicaments pour la douleur et tout cela. Mais je ne les rentre jamais en dedans. …T’sais, faut aller les prendre à l’extérieur. Alors, moi je connais beaucoup de mères, de personnes qui décident de ne pas prendre leurs médicaments, mettant leur santé à risque pendant trois jours parce que c’est moins de trouble qu’ils viennent te chercher à 7h30, là il faut que tu t’habilles. […] Aussi, ils te fouillent. – Mary, conjointe.
En plus de consentir à une fouille exhaustive des choses qu’ils amènent avec eux, les proches de personnes détenues sont soumis au dénombrement, doivent demander une permission particulière pour avoir accès à leur médication et ne peuvent pas circuler librement dans l’institution. Cette visite qui procure un espace de liberté, d’autonomie et de plaisir à la personne incarcérée signifie pour les proches un enfermement volontaire, la soumission à de nombreuses privations et des coûts financiers.
T’sais, au début, les premières sont plus difficiles un peu. Le départ après trois jours, bien, ça devient un peu triste, là, mais sinon, on s’habitue. C’est comme une petite routine encore là qui, qui se fait……C’est sûr que, des fois, c’est long. Parce que, écoute, l’hiver, là, tu es dans un petit trois et demi ou un petit quatre et demi puis, euh, on fait quoi? On avait des jeux de société, c’était pas si pire, des trucs comme ça, mais c’est, c’est une vie qui est pas tout à fait une vie non plus, là. T’sais, quand tu es dans ta maison, tu as plein de choses à faire dans ta journée de trucs. Mais, là, c’est limité à cette bouffe-là, à ces jeux-là. T’sais, il y a pas de… il y a pas de plus que tu peux faire, là, dans ta journée, là. – Ariane, conjointe.
Oh mon dieu, c’était vraiment pour lui faire plaisir parce que moi j’haïssais ça là, c’est sale, c’est dégueulasse, c’est… pis tu es enfermée euh…. Je veux dire, t’es enfermée là… juste pour prendre, t’sais, moi je prends des Lactaid, parce que je suis intolérante au lactose, je ne pouvais même pas avoir ça sur moi là. Faique, fallait que j’appelle pour que le gardien vienne me chercher. Ou genre, tu veux prendre des Advils parce que tu as mal à la tête, faut que je l’appelle le gardien, qu’il vienne me chercher, qu’il m’amène comme à la réception dans mon casier, que je prenne ça devant lui et que je revienne. T’sais, moi Je trouvais ça là… Pis en dedans, c’est sale. C’est eux qui font l’entretien là-dedans, pis c’est dégueulasse, pis c’est sale, pis… T’sais, tu cuisines dans la vaisselle de tout le monde pis, t’sais…. Je ne suis pas madame Blancheville, mais ça m’écœurait un peu, faique c’était vraiment pour lui faire plaisir. Et je veux dire, tu peux rien… tout ce qu’on…on jouait des cartes, on écoutait des films pis je lui faisais à manger. Son fun, c’était de faire sa liste d’épicerie. T’sais, il peut choisir des trucs spéciaux qu’il ne mange pas souvent. Il n’a pas une liste de même, mais il a quand même plus de choix. Mais ça aussi faut le payer cette épicerie-là, t’sais. C’est moi qui paye ça…pour les roulottes, c’est la famille qui paye l’épicerie. Il choisit ce qu’il veut, la commande est placée dans une épicerie pis la journée que tu arrives, ta commande elle arrive en même temps que toi. Mais c’est le parent, la famille ou la blonde qui paye. – Alexandra, mère.
Vous devez être là le vendredi à midi et vous êtes libéré vers 10 heures le lundi. Et sept fois je suis descendue avec ma petite-fille et nous avons passé le week-end […], pour lui c’était la liberté parce qu’il pouvait y aller et nous sommes restés dans ce petit endroit de type bungalow avec une clôture. Mais il y avait une cour avec de l’herbe et vous savez, nous pouvions cuisiner et il planifiait toute la nourriture. Il achetait la nourriture. Il fait une liste. Alors, il met une liste. Il faisait le menu et c’est un bon cuisinier. Donc, son travail était de planifier le menu et ça lui donne quelque chose à faire. Parce que quand ils sont en prison, ils ne prennent aucune décision, n’est-ce pas ? C’était donc une chose qu’il pouvait planifier le week-end pour la nourriture et tout le reste. Et, mais pour moi, je ne peux pas prendre mon appareil photo. J’adore prendre des photos. Je ne peux pas prendre mon téléphone. Je n’ai pas mon ordinateur. Je ne peux téléphoner à personne. Donc, tu es complètement coupé. Donc, vous savez, ma fille est complètement coupée de son bébé et je suis complètement coupée de tout le monde. Je suis une personne libre. Je peux parler à qui je veux quand je veux leur parler. La première fois que j’y suis allée, il m’a fallu deux semaines pour m’en remettre, je crois […] Je n’arrivais pas à y croire. Et pour lui, c’était tellement bien. Il était, « Quand peut-on faire ça encore? » Et je me disais : « Je ne veux plus jamais faire ça. » – Kim, mère.
Les proches interrogés ont mentionné la tristesse ressentie face à l’impossibilité de voir au moment voulu l’être cher incarcéré ainsi que leur impuissance face au contrôle de l’institution sur leur relation et leur quotidien. Les visites, qu’elles soient derrière une vitre, dans des salles communes ou dans une roulotte, sont des moments précieux, mais difficiles à vivre pour les proches. Les témoignages recueillis permettent de faire le portrait des différentes mesures auxquelles ils sont confrontés à chaque fois qu’ils entrent en détention. La capacité d’adaptation des proches est mise à l’épreuve par des politiques et des pratiques de visite exigeantes, changeantes et parfois inconsistantes.
[…] La prison ici [1re prison] est la pire pour – Vous êtes juste traité comme, vous savez, comme un moins que rien. Alors, on vous bat […] Et vous y allez et, pour moi, avec, quand vous avez les téléphones et tout ça c’est, comme, comme, si vous êtes tous assis dans une piscine. Vous savez combien c’est bruyant dans une piscine publique ? Alors, j’ai du mal à entendre et les téléphones ne fonctionnent pas toujours très bien, ce genre de choses. Et vous êtes – Vous savez, ils peuvent avoir 15 téléphones différents et il peut y avoir, vous savez, 5 personnes en visite et ils les mettent de sorte que vous avez quelqu’un juste à côté de vous qui parle, au lieu de les espacer. Donc, je déteste les visites dans les prisons provinciales et je ne le fais pas, la plupart du temps. À la [2e prison], c’est un peu différent. Vous y allez et vous restez dehors. Le premier arrivé, le premier servi, car ils n’ont qu’un seul endroit à visiter, le box, et vous vous démarquez. Il n’y a pas de siège. Il n’y a pas de toit. . . Je n’aime pas visiter les prisons provinciales. Et dans [la prison fédérale], je n’y suis allée que deux ou trois fois, pour une visite d’une journée, vous savez, une visite de 3 heures parce que conduire 3 heures pour visiter 3 heures pour rentrer 3 heures à la maison- Et il ne voulait jamais que j’y aille le week-end. C’est plus occupé le week-end. Il n’aime pas être entouré de beaucoup de monde, ce qui rend la prison très difficile pour lui. […] Vous savez, l’idée d’être dans une pièce avec beaucoup de gens qui viennent me rendre visite, des enfants qui courent partout […]. Nous sommes allés à l’assistance sociale une fois et en fait ma fille est venue et sa fille et moi […] et mon fils a dit : « Ne regarde personne. » Et d’autres mères ont dit ça. Donc, quand vous allez en visite, vous êtes tous assis à table dans le gymnase pour participer à cette réunion sociale et il y a de la nourriture et vous mangez ensemble et tout ça. « Ne regarde personne, parce que ça peut causer des problèmes. » Je regarde une femme ou la petite amie de quelqu’un, je la juge peut-être et ce type va venir frapper mon fils plus tard, n’est-ce pas ? Et c’est, c’est – Et, donc, c’est comme ça et c’est la même chose avec les visites. Comme quand vous allez en week-end pour rendre visite. Donc, quand vous allez et que c’est la visite du week-end ou la visite de 72 heures, je n’ai pas à m’occuper de tout ça. – Kim, mère.
2. Les interactions entre les familles et le personnel correctionnel
Au-delà des réglementations et procédures proprement dites, ce sont les interactions des proches avec le personnel correctionnel qui sont souvent dénoncées comme problématiques par les proches. Les participants de cette recherche soulignent bien sûr avoir eu des interactions correctes avec le personnel en détention.
[…] Ils ont toujours été très corrects avec nous autres, là, t’sais. On aurait pu pogner des, des gens, t’sais, des, des agents là-bas que, non, t’sais, genre, aucun air lousse, là, genre, bien, bien stricts puis c’est comme ça. – Olivia, fille.
Bien, je pense que, comme eux, c’est leur travail […] c’est comme dans n’importe quel business, il y a du monde gentil, il y a du monde moins gentil. C’est sûr que tu arrives à X, la personne, elle a un certain air sérieux de par la nature de l’institution. Mais c’est arrivé qu’on a fait des blagues. On a des gens qui étaient très drôles, qui, qui, euh, qui faisaient des blagues avec les enfants ou peu importe […] aller là une fois, probablement que j’aurais pas les sourires que j’ai eus à y aller toutes les semaines. Ça fait que c’est des relations un peu que tu développes avec les gens au fur et à mesure. […] Je crois qu’ils sont capables aussi de faire la part des choses entre leur travail avec les détenus, leur travail avec la famille. […] la plupart des gardiens étaient, là, bien corrects, là…. il y avait quelques visages, des fois, que tu dis: «Ah, lui, à matin, ça lui tentait pas. Mais des fois, je me dis, c’est comme partout. Tu vas, tu vas à la caisse, à l’épicerie puis, peut-être, des fois, la madame, ça lui tente pas de te répondre non plus, là.» C’est juste la nature de l’institution qui fait qu’il y a un sérieux qui plane un peu plus, peut-être, qu’à l’épicerie. (Rires.) – Ariane, conjointe.
A quelques occasions, les proches rapportent des interactions avec le personnel se sont avérées davantage positives.
Pis tu as des agents comme j’ai eu moi où il était, les agents qu’il a eus quand il était à [un pénitencier], c’était tous des gens que je pouvais appeler avec qui je pouvais parler. Quand il a eu son pontage et il a fait une méchante dépression, j’ai pu appeler son équipe de gestion de cas. J’ai pu appeler Martin* et dire Martin*, sa santé mentale m’inquiète. – Mary, conjointe.
(En comparaison avec d’autres institutions) Alors, ils étaient si gentils, vous savez ? Et, ils ont dit, « Oh, nous comprenons. Ça doit être tellement dur. » C’était des femmes gardiennes. Elles étaient très compréhensives. Vous savez, ça a beaucoup aidé. Ça a beaucoup aidé. Qu’ils n’étaient pas méchants avec moi parce que, vous savez, on entend parler de familles qui ne sont pas bien traitées. Et ça a rendu les choses plus faciles, c’est sûr. Et elle a dit – je ne me souviens pas exactement de ce qu’elle a dit, mais c’était quelque chose d’un peu encourageant, vous savez ? […] ce gardien dans X, elle se démarque juste parce qu’elle avait ce grand sourire. Elle était si gentille. « Oh, oui ? Tu viens de l’extérieur de la ville ! C’est comme si, tu te sentais bien. J’étais tellement choquée de la façon dont ils me traitaient. – Tara, mère.
A l’exception de ces interactions positives jugées trop rares et surprenantes, la majorité des rencontres entre les proches et le personnel correctionnel sont jugées déplaisantes, dégradantes, voire nocives.
Mais tu te sens tellement pas considérée comme, comme individu, je trouve, là. C’est comme si, mettons, il s’en foutait de toi, là. T’sais, pour eux, la famille du détenu puis le détenu puis sa vie en général, c’est rien, là. Pour eux, c’est juste un numéro qui a fait quelque chose. Il a un dossier puis c’est ça[…]Parce que, moi, j’avais absolument rien contre les agents carcéraux avant, là. Je trouvais que c’était un métier qui était très louable, là. Mais, maintenant, là… (Rires.) […] Il y en a qui sont vraiment corrects, là. Puis, comme, ceux qui sont corrects ….c’est, c’est comment qu’ils t’abordent exactement quand tu vas… dans un magasin puis qu’ils faisaient du service à la clientèle. Les autres, ils te parlent comme si tu étais la dernière, euh… t’sais, c’est pas… En tout cas. Moi, ça m’avait vraiment surprise, ça, qu’ils aient autant peu de considération pour les gens qui y vont…Moi, j’aurais pensé qu’ils auraient plus de discernement, là, par rapport à ça… Puis de, d’avoir plus de, de compréhension envers la famille. T’sais, de plus les prendre en considération, pas de faire comme si tu étais juste un numéro puis que toi… moi, je vais voir mon chum en prison, mais c’est comme si j’allais voir ma grand-mère au centre de personnes âgées, t’sais. Pour eux … dans leur approche, ils prennent pas en considération qu’ils parlent avec des gens qui sont, qui sont blessés puis qui ont peut-être besoin de tact …eux autres, ils considèrent pas que c’est une épreuve que tu vis. – Patricia, conjointe.
Trop souvent, les interactions entre les proches et le personnel correctionnel sont, en effet, des mauvaises expériences. Si les proches se sentent déjà ignorés à distance par une institution qui ne les informe de rien, ce sentiment est exacerbé par l’attitude passive et négative du personnel à leur égard. Au niveau interpersonnel, ce sont des gestes, des regards et des mots posés ou omis qui les font se sentir maltraités par le personnel correctionnel.
Je dirais que, pour la plupart, c’était soit un désintérêt total. Vous pourriez être une simple mouche sur le mur, vous savez ? Ou bien ils pouvaient être carrément insultants et grossiers avec vous. Et cela s’est produit à plusieurs reprises. – Erika, mère.
Moi, je suis chanceuse, ça ne m’est jamais arrivé, mais il y avait un garde à la [pénitencier]. La madame est arrivée, une madame d’un certain âge, elle s’en vient voir son mari, ça avait passé dans le journal, il avait abusé de nombreux enfants. La madame vient le visiter, elle regarde par terre. Elle ne veut pas être là, mais c’est son mari et elle a décidé de rester avec. Tu vois qu’elle en shake, c’est sa première visite conjugale, elle shake, le cœur me saigne … pis ils la fouillent pis là, au lieu d’être gentils pis d’être polis avec. Là, il commence, bon vos sous-vêtements, elle sort ses deux petites paires de culottes tsé, «montrez-les », là il la fait montrer ses culottes de même. Pis là, votre brassière, pis là elle sort la brassière… pis là il continue, mais là, à cette époque-là à la B*, on faisait ça dans l’entrée. Là, tu as tous les gardes qui entrent et qui sortent de la journée, c’est un changement de shift à cette heure-là. Tous les employés…, à cette époque-là, ils étaient en train de construire l’hôpital, tous les gars de la construction pis toi tu es là en train de montrer tes sous-vêtements. – Mary, conjointe.
Il ressort fréquemment des témoignages recueillis que les proches se sentent traités comme des criminels.
Quand on va là, on se sent comme des voyous. – Normand, père.
Vous avez l’impression d’être traité comme si vous étiez aussi un criminel. Ils vous regardent de travers… la majorité d’entre eux sont absolument grossiers. – Gina, mère.
Le système me donne l’impression d’être un criminel. Quand tu entres, ils te traitent comme de la merde. Ils vous donnent l’impression qu’on ne peut pas vous faire confiance. J’ai 58 ans. Je n’ai jamais enfreint la loi de ma vie, mais chaque fois que j’y vais… Je suis terrifiée, terrifiée. – Inès, mère.
Tsé des fois, je vais aux visites et des fois, il faut que je rappelle au garde que je suis une citoyenne canadienne… Mais combien de fois, je les vois dénigrer, soit les familles, soit quelqu’un. On dirait qu’ils oublient qu’on est des citoyens. – Mary, conjointe.
Ben moi, je pense qu’il faudrait que les gens qui nous reçoivent soient plus sympathiques. Dans le sens que quand je dis sympathique, pas écouter, premièrement on ne raconte pas nos vies quand on va là, on n’a pas le temps et tout cela. Mais, juste comprendre qu’on va rencontrer quelqu’un…. dans le sens que je ne suis pas délinquante, comprenez, j’en ai pas de casier judiciaire … je pense que si on nous recevait un petit peu plus agréablement, moi je pense que ça aurait même un impact pour nous avec nos détenus. Moi je suis arrivée à la petite fenêtre, je suis déjà à bout là. J’arrivais là et j’étais fâchée. Mon fils y me connaît, il me disait calme toi. J’ai dit hey, on se fait traiter comme des tatas là. Tsé je trouvais cela dur et je vous avoue que oui, ça me faisait de la peine parce que je me disais regarde, moi je viens rendre visite à mon fils pour lui rendre la vie un petit peu plus douce pour le reste de la semaine et je le vois, je suis fâchée. T’sais, dans le sens que…! Fac ça, je trouvais cela plate. …Moi, je pense qu’il faudrait qu’il y ait du personnel un peu plus adouci, qu’ils s’adoucissent. Mais je comprends qu’eux autres aussi doivent être fatigués, tannés, c’est quand même leur emploi là. On s’entend que ce n’est pas un don de soi qu’ils font, mais oui, d’être un peu plus accueillant, moi je pense que oui. – Zora, mère.
Ce traitement a un effet intimidant et potentiellement dissuasif sur les proches qui souhaitent visiter. C’est le cas d’Hannah qui souhaite visiter son neveu, mais appréhende en raison du traitement vécu par sa sœur.
G (sœur de la personne interrogée) a dit qu’elle se sentait vraiment humiliée. Elle a dit qu’ils vous traitent comme si vous étiez coupable vous aussi. Donc, je n’y suis pas encore allée. Ils peuvent penser ce qu’ils veulent. Je ne peux pas contrôler ce qu’ils pensent. Je suis une bonne personne. Je veux rendre visite à mon neveu. C’est une partie importante de sa réhabilitation de savoir qu’il y a des gens à l’extérieur qui s’occupent de lui. Je ferai de mon mieux. Je les traiterai comme des personnes. J’espère qu’ils me traiteront comme tel. – Hannah, tante.
Si notre recherche ne nous permet pas d’analyser le rôle joué par le stigmate attribué aux proches dans les attitudes négatives du personnel, il apparaît clair que ces attitudes perpétuent la stigmatisation des proches (Comfort, 2003; Hannem, 2011; MacKenzie, 2019; McCuaig, 2007). L’exemple de Mary qui était intervenante en milieu carcéral et qui devient visiteuse conjointe de détenu illustre un traitement différentiel des proches:
Moi je m’attendais d’arriver là et d’avoir le même service que quand tu y vas comme si aujourd’hui tu te présentes en prison, une avocate se présente, moi je m’attends d’avoir toujours le service… non, non, je me suis aperçue du jour au lendemain. Je suis partie d’être une personne super respectée dans les services correctionnels qui a une cote de sécurité A. […] je n’ai jamais eu de détecteur de drogues, j’ai jamais eu le chien pisteur, jamais, jamais. […] Et du jour au lendemain, je rentre comme conjointe et je suis devenue comme […] moi je dis tout le temps, comme un citoyen de deuxième classe dans mon propre pays, pis ça été comme le plus frappant. Ben j’avais dit au garde, ben je ne comprends pas! Je rentre dans un super max au Québec, pis il n’y a pas de problème pis là aujourd’hui, il me teste pour la drogue […] Moi, je ne comprenais pas comment tu pars une journée, le vendredi tu es une personne respectée du service correctionnel et un mois plus tard, tu vas visiter ce gars-là et tu es soudainement une passeuse de drogues. Fac, je pense que c’est la partie la plus dure depuis que je suis avec. […]Moi je dis tout le temps, moi j’ai choisi cette vie-ci. J’ai choisi de le marier. La maman et le papa, la sœur, le frère, les enfants ont pas choisi pis c’est cette partie-là qui est tellement dure aux services correctionnels. Et que ce soit fédéral ou provincial, c’est la même affaire. Ça ne change pas. – Mary, conjointe.
Ce sont des émotions de frustration, d’humiliation et de honte qui sont engendrées par ces interactions avec le personnel. Ces expériences s’accumulent et deviennent des sources importantes de stress et de souffrance pour les proches. Les politiques et pratiques carcérales reproduisent et élargissent les souffrances de l’incarcération vécues par les personnes détenues à leurs proches. Les témoignages recueillis nous permettent, en effet, d’identifier les diverses lacunes du système correctionnel identifiées par les proches.
3. Les carences du système correctionnel
Les expériences des proches pointent du doigt des carences de fonctionnement au niveau des compétences que le personnel se devrait d’avoir dans le cadre de leur travail, (le savoir-faire) mais également des carences émotionnelles et morales (le savoir-être) de l’institution carcérale, de ses politiques et de ses employés.
Carences au niveau du savoir-faire Le fonctionnement de l’institution | Carences au niveau du savoir-être Les valeurs de l’institution |
Manque de ressources | Manque d’intimité |
Manque de fiabilité | Manque de respect |
Manque d’organisation | Manque d’humanité |
Manque de professionnalisme | Discriminations |
Manque d’efficacité | Manque de justice |
Rigidité et manque de flexibilité | Excès et manque de sécurité |
Manque de consistance | Manque de compassion |
Manque de cohérence | |
Manque de transparence | |
Manque d’informations | |
Manque de communication | |
Manque d’imputabilité |
A. Carences au niveau du savoir-faire: les défaillances de fonctionnement de l’institution
Les proches rencontrés donnent de nombreux exemples de ce qu’ils considèrent être des défaillances de fonctionnement de l’institution carcérale qu’ils apprennent à connaître. Ils sont confrontés au manque de ressources matérielles et humaines des pénitenciers et, surtout, des prisons provinciales. Au manque d’espace s’ajoutent la vétusté de certaines infrastructures et du matériel (places de visite limitées, téléphones insuffisants et défaillants) ainsi que le manque de personnel qui a un impact direct sur leur capacité à être informés (absence de personne-ressource, manque de communication avec les familles) et servis par l’institution (visites restreintes, voire annulées).
Les procédures en place leur apparaissent confuses et opaques en raison du manque d’explications données et d’une apparente incohérence avec l’objectif de maintien des liens familiaux et sociaux. De plus, ils constatent fréquemment un manque de logique et de consistance dans l’application des règles et des procédures qui varient d’un établissement à l’autre et souvent au sein du même établissement. Des permissions explicites ou tacites qui sont accordées par le personnel une semaine sont parfois suspendues et révoquées comme n’ayant jamais existé la semaine suivante.
Puis, là, elle me dit… Elle dit: «Non, les collations, c’est pas autorisé.» Je fais: «Voyons, ça fait deux mois que je viens deux fois par semaine, j’ai tout le temps une collation, là.» «Non, ça, on n’en veut pas des collations. Ça fait des dégâts.» – Patricia, conjointe.
La seule cohérence là, c’est l’incohérence. – Mary, conjointe.
Et, en réalité, c’est pour cela que je dis qu’il n’y a aucune cohérence entre les services et les personnes qui mènent tout cela la grosse machine. – Rosalyne, mère.
Même s’il s’agit de permissions aussi banales que d’entrer à la visite avec un goûter pour le bébé, les proches vivent très mal la façon dont ces interdictions sporadiques sont imposées et exprimées comme étant des confusions, des fautes ou encore des mensonges de leur part. Étant mal informés des procédures et non informés de leur raison d’être, ils jugent la plupart des contraintes comme ridicules et incohérentes. Pourquoi les dessins d’enfants faits durant la visite ne peuvent-ils pas simplement être donnés au détenu, mais doivent être envoyés par la poste une fois de retour à la maison? Pourquoi sont-ils acceptés s’ils sont faits avec certains crayons de couleur, mais refusés si des feutres sont utilisés? Pourquoi un tel envoi de dessins « non autorisés » peut-il donner lieu à une mention négative dans le dossier carcéral de la personne détenue?
Leur expérience est ainsi constellée d’épisodes et d’interactions incompréhensibles avec une institution qui leur apparaît rigide, non fiable, mal organisée et peu professionnelle. L’absence de moyens de communiquer, de demander des explications ou de contester les procédures et pratiques en place contribue à cette image négative d’une institution non transparente et non imputable.
B. Carences au niveau du savoir-être: les valeurs défaillantes de l’institution
Je sais que ce n’est pas une garderie. Je sais que ce n’est pas censé être agréable, mais cela devrait sûrement être humain. – Érika, mère.
Les témoignages recueillis évoquent une trop fréquente carence de “savoir-être” du système correctionnel en général et des employés qu’ils rencontrent. Confrontés à une institution étatique qui leur apparaît à la fois incohérente dans ses politiques, irrespectueuse dans ses pratiques, les proches témoignent d’expériences évoquées qui illustrent un échec à mettre en application et à personnifier les valeurs démocratiques.
En tant qu’institution étatique et service public, les prisons et pénitenciers n’apparaissent pas, aux yeux des proches, véhiculent les valeurs positives qu’elles devraient. Ceux qui découvrent le système carcéral sont choqués et bouleversés par l’écart entre ce qu’ils croyaient être un système incarnant les valeurs sociales canadiennes et ce qu’ils en découvrent comme réalité.
Eh bien, ce fut un choc ! C’est un choc de penser que c’est à ça que ressemblent nos prisons. Ça, et c’était ici à Ottawa, n’est-ce pas ? Donc, nous sommes ici dans la capitale du Canada. Une des meilleures nations du monde où vivre et c’est ainsi que nous traitons les gens qui n’ont même pas encore été reconnus coupables de quoi que ce soit, n’est-ce pas ? […] C’était un choc. C’était un choc pour mon système. Je dois vous dire que ça m’a vraiment secouée. Ça a bouleversé mon monde. – Erika, mère.
Les procédures et techniques carcérales auxquelles ils sont soumis manifestent à leurs yeux un manque évident de respect de leur existence et de leur situation déjà difficile en tant que proches de personnes incarcérées. En se soumettant aux règlements, à la surveillance et dans une certaine mesure au confinement institutionnel, les proches s’exposent à diverses privations et limitations de leurs autonomie, indépendance, intimité et vie privée qui ne sont pas sans rappeler celles que vivent les personnes incarcérées (Chamberlain, 2015; Sykes, 1958). La limitation des mouvements, la sélection et le retrait d’objets personnels et de vêtements illustrent bien le contrôle du personnel sur les corps des proches visiteurs.
Vous savez, je portais un foulard. C’est assez évident pour moi, vous savez, quand quelqu’un subit un traitement contre le cancer, il y a un certain fait de port du foulard. Et une fois, je suis allée faire une visite et, vous savez, j’ai lu le truc. « Pas de chapeaux et de vestes. » Il y a un signe à ce sujet. Mais, pour moi, vous savez, je ne porte pas de couvre-chef pour avoir du style. C’est parce que, vous savez, j’ai perdu mes cheveux… Mais une fois, je suis allée les voir et ils m’ont demandé de les enlever. Et la personne avant moi avait un hijab, donc problème… Mais, vous savez, pour moi, s’il y a une exception religieuse, pour moi, le cancer serait mis dedans, pour moi. C’est une question de respect. Et j’ai dit au garde, « Vous savez, je suis en train de suivre un traitement contre le cancer en ce moment. » Et il m’a dit : « Oh, il n’y a pas de couvre-chef. Vous devrez demander à mon partenaire. » Alors, il me demande de passer au détecteur de métaux et son partenaire ne dit rien. Et l’autre garde, « Tu vas la laisser porter ça ? » Comme, et juste comme ce ton entier. Et, il est, genre, « Ouais, ça me va. » Alors, ils m’ont laissée entrer. – Gina, mère.
Comme un effet miroir du traitement des personnes détenues, les proches sont escortés et enfermés dans certaines salles par des gardiens qui régulent leurs mouvements; à partir de quand et où attendre en ligne, le temps d’attente avant d’entrer, etc.
Et donc, on passe, puis on passe au détecteur de métaux, puis on doit être reniflé par les chiens, puis on passe par ici, puis on doit s’asseoir et attendre. Donc, pour un petit enfant, c’était – les deux premières fois que je l’ai emmenée, elle a pleuré. Elle avait peur. « Qui sont ces gens ? Pourquoi me touchent-ils ? Pourquoi est-ce qu’ils… » Vous savez – « Pourquoi dois-je passer par ce truc intimidant ? » Une fois, je l’ai emmenée, elle devait aller aux toilettes et elle était, elle était propre et je leur ai demandé, comme, c’est tout un processus. J’ai dit : « Elle doit aller aux toilettes. Je sais qu’il y a, de l’autre côté de cette porte, une salle de bain où elle peut aller ? » « Non » Elle a fini par – Elle avait environ trois ans à l’époque, en train de mouiller son pantalon. – Kim, mère.
Fouilles, lecture du courrier, appels enregistrés, manipulation des sous-vêtements de rechange, interrogatoires, etc., les proches sont soumis à diverses procédures de surveillance et de gestion des risques qui font primer la logique sécuritaire au détriment de leur dignité et leur vie privée. Perçus avant tout comme potentiels facteurs de risques et acteurs de contrebande (Hannem, 2011), leurs proches paient le maintien de leur relation avec une personne détenue au coût élevé de leur soumission “volontaire” à des procédures qui menacent leur autonomie, intégrité, indépendance, intimité et vie privée. Olivia, Maude et Alexandra illustrent cette résignation à tout accepter dans le seul but de voir un être aimé, même une demande de fouille à nu. Cette expérience est donc vécue comme une forme de violence.
Les fouilles, t’sais, elle nous a expliqué… Là, elle dit: «Tu arrives là-bas, des fois, t’sais, on est tous à l’intérieur, ils vont faire des fouilles sur les, les visiteurs.» Puis elle dit: «S’ils te disent: ‘C’est une fouille à nu”. Tu dis ‘non’ […] Tu veux pas.» Là, j’étais là: «Oui, mais je pourrai pas aller voir papa […]» Mais elle dit: «Non, mais fais-toi pas fouiller, genre, toute nue.» Elle dit: «Tu veux pas vivre ça.» Bien, j’étais là: «Oui, mais pour aller voir papa, ça me dérange pas.» – Olivia, fille.
[…] Moi j’ai jamais été fouillée à nu parce que je ne serais jamais retourné de ma vie. Mais je sais que je l’ai signé le papier comme de quoi que ça pouvait arriver. – Alexandra, mère.
(En parlant de la fouille à nu subie) Bah oui, elle était pas forcée, mais comme forcée. […] ou sinon je devais aller dans la salle de visite pour 1 heure. (silence). Mais là tu vois ton mari, ton conjoint paniquer, pis t’sais, il se passait tellement de choses que ça fait comme « j’ai pas le choix là ». Ça fait vraiment « j’ai pas le choix ». En dedans, ça fait « j’ai pas le choix, faut que je le fasse, ils vont peut-être me lâcher après parce que »…. (silence). Pis ça été… deux officières pis y avait entre autres celle qui me lâchait pas… qui contrôlait tout, tout, tout, tout. Le pire c’est qu’au téléphone je disais toujours à Olivier* « si un jour ça arrive, je m’en vais ». Mais… j’avais pas le choix… – Maude, conjointe.
C’est violent, c’est comme être traité comme si j’étais moi-même criminelle, comme si c’est moi qui avais rendu mon fils comme cela, comme si c’était à cause de moi. – Maryse, mère.
Certains vont même jusqu’à dire que l’ensemble des interactions et des contrôles sécuritaires subis aux mains de l’institution pour pouvoir visiter est un processus déshumanisant. Aux mains de l’institution, ces valeurs bafouées peuvent s’accumuler et s’apparenter à un refus de l’institution de reconnaître leur dignité. Les carences de respect, d’humanité, de compassion qu’ils vivent et les privations d’autonomie et d’intimité auxquelles ils doivent se soumettre ne sont pas perçues par les proches comme ayant un caractère accidentel ou purement interpersonnel, mais comme étant institutionnel, structurel et volontaire.
[…] Un gars est assis là et il a les deux jambes sur le bureau et je me suis mis à la fenêtre et il n’a même pas pris la peine de tourner la tête. C’est tellement irrespectueux. Et j’ai pensé : « J’ai travaillé dans des bureaux toute ma vie. Je ne permettrais jamais à quelqu’un d’entrer et de me voir avec les deux jambes sur le bureau, écartées comme ça alors que je suis censé travailler ». Et cela traduit un tel manque de respect envers les familles, n’est-ce pas ? Et ça vous fait encore plus honte. Et c’est ce qu’il est conçu pour faire. Tout ce processus, lorsque vous passez la porte, est fait de honte et de blâme. N’est-ce pas ? C’est ce qu’ils font. Et ça marche. – Jeff, père.
Violée. Fait pour être criminel. Victimisée une fois de plus. Humiliée. Honteuse. Être accusée avant de faire quelque chose de mal. J’ai l’impression que le Service correctionnel du Canada considère les visiteurs et la famille comme des ennemis et je crois qu’il a mis en place des structures pour vous faire ressentir cela. – Inès, mère.
Les personnes rencontrées dans le cadre de cette recherche sont d’autant plus choquées de ce traitement qu’il est en contradiction avec leurs visions de ce que les relations citoyen-service public devraient être.
J’ai 58 ans, je suis un citoyen respectueux des lois et qui paie ses impôts. Ne me traitez pas comme un déchet. Je ne suis pas un déchet. Je ne vous traite pas comme ça. Je suis respectueux. Je dis s’il vous plaît et merci et je dis bonjour quand j’entre… – Jeff, père.
J’ai été inquiète et choquée et, pour moi, ils font un service public. Une partie du public arrive et si je vais dans une autre institution ou un autre endroit où il y a un service public, je ne devrais pas m’attendre à être traitée de cette façon. – Gina, mère.
Ils en ressortent bouleversés dans leurs convictions sur le système de justice, les services publics et les figures d’autorité. Une institution publique qui non seulement ne les aide pas, mais qui est à l’origine et l’actrice de nombreux dommages et souffrances qui leur semblent évitables. Certains proches expriment alors leur ressentiment, voire leur méfiance, envers les institutions et les agents du système pénal. Cette image ternie des autorités pénales transparaît d’ailleurs dans la suspicion de certaines des personnes rencontrées que ce sont, en fait, quelques gardiens qui sont responsables de l’entrée des drogues en détention.
En particulier dans les visites fermées, il n’y a pas moyen de passer quoi que ce soit à « X ». Pas question. […]. Ça arrive par les gardes qui ne sont pas scannés. Ça passe par les travailleurs qui ne sont pas scannés. Ça passe par les bénévoles et les entrepreneurs qui ne sont pas scannés, n’est-ce pas ? Nous n’apportons rien. C’est comme s’ils gardaient le poulailler et que tout l’arrière de la grange était ouvert, non ? […] c’est vraiment juste intimidant, donc ça a un impact négatif. Ça n’empêche pas la drogue d’entrer dans la prison. […] toutes les visites sont fermées. Donc, cette drogue n’est pas entrée avec un visiteur. – Jeff, père.
Ce qui est frustrant, ce n’est pas une visite de personne à personne. C’est une visite à travers le verre. Il n’y a aucun moyen pour eux de passer quoi que ce soit. Cela n’a aucun sens pour moi. – Hannah, tante.
Je veux dire qu’ils arrivent avec des sacs à dos, et de gros manteaux lourds, et toutes sortes de choses. Et je ne dis pas qu’il n’y a que les agents correctionnels, il y a des volontaires, il y a comme le type qui a rempli les distributeurs automatiques – il entre maintenant son euh son euh – je ne veux pas dire qu’il apportait quoi que ce soit par un effort d’imagination, mais si vous voulez appliquer ce principe de manière équitable, chaque personne devrait être soumise au scanneur d’ions. – Quinn, mère.
Ainsi, dans notre recherche, tout comme dans celle de Lee, Porter et Comfort (2014) sur les familles de détenus aux États-Unis, il est possible d’analyser une perception négative du système pénal et de ses agents par les proches. Leurs expériences viennent non seulement réduire leur niveau de confiance envers les institutions gouvernementales, mais plus sérieusement remettre en question les valeurs de l’appareil étatique. Les manques d’informations, de transparence, de cohérence, d’imputabilité viennent forger le constat d’une mauvaise performance dans ce qu’ils estiment être les devoirs et responsabilités d’un service public. À travers leurs expériences et leurs interactions qui socialisent les citoyens aux attentes qu’ils peuvent avoir de leur gouvernement (Lipsky, 1980); nous constatons que la socialisation des proches au contact du système pénal engendre une image dégradée des valeurs, des pratiques et des normes que le gouvernement personnifie. Toutefois, les proches se résignent à accepter cette dégradation dans le but de maintenir et d’entretenir ce contact précieux avec la personne détenue.
Nous restons en contact avec lui […] Et nous continuerons à le faire, quel qu’en soit le prix […] Nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour qu’il se sente toujours membre de son cercle familial et qu’il soit aimé. – Ines, mère.
Le coût est cependant élevé au point de leur donner la sensation de vivre la peine avec la personne incarcérée.
On subit aussi dans le fond la peine de l’autre. – Ariane, conjointe.
Puis, c’est comme (pleurs) moi aussi j’ai l’impression de faire du temps avec lui (pleurs). Pis, j’ai beau me dire que ce n’est pas moi, que ce n’est pas moi qui ai fait ça, mais c’est plus fort que moi…(pleurs). Moi aussi, je compte les dodos, je compte les jours. Ce n’est pas facile. – Georgette, mère.
Si cette étude illustre clairement les difficultés vécues qui émanent du milieu correctionnel, l’expérience singulière des proches ne s’achève pas aux portes des prisons et des pénitenciers. En raison de l’impact ressenti dans la vie quotidienne dans ses diverses composantes, l’incarcération d’un proche est une expérience qui se vit également à l’extérieur des murs.